Costas Mitropoulos


CARICATURISTES GRECS ACTUELS : COSTAS MITROPOULOS
Par Ioanna Assaryotakis-Kordas
En 2005, la Poste Hellénique (EΛTA) publie une série de timbres consacrée aux 25 siècles (500 av. J.C.- 2000 après J.C.) de caricature grecque. Cette série comporte six timbres-caricatures : l’Antiquité, Thémos Anninos (1870-1910 – les dates signalent la période active des dessinateurs), Dimitris Galanis (1900-1930), Fokos Dimitriadis (1919-1967), Archélaos Antonaros (1950-1990) et enfin Mitropoulos, le seul en vie et qui compte50 ans de carrière.

– (voir article en ligne sur la page de l’E.I.R.I. S.: « Deux siècles de caricature grecque ») –
Ce colosse de la caricature politique et sociale, naît à Athènes en 1925. Il fait ses premiers pas de caricaturiste dans le quotidien To Vima (1960) puis collabore avec Ta Néa (1967) pour continuer jusqu’à aujourd’hui (mai 2010).

Il a participé à 25 expositions en Grèce et à l’étranger et obtenu 5 prix (Belgique 1964, Montréal 1968, ex-Yougoslavie 1970 et 1973, Berlin 1975, Athènes 1977). En 2000 on lui décerne le prix de l’Académie d’Athènes avec le commentaire suivant : « Mitropoulos traite l’actualité avec imagination, rigueur, dignité, courage, audace, ironie et souvent un humour amer ».

Ses dessins humoristiques sont exposés à la Pinacothèque de la Mairie d’Athènes, à Prinston (collection satirique) et au Musée de la Caricature de Bâle.

Il a collaboré avec Time, Newsweek, Stern, Figaro Littéraire, Paris Match, Punch, Washington Post, etc.

Sa thématique c’est la société de l’abondance, une société traquée qui s’auto-détruit : la ville inhumaine, la voiture, le bulldozer, l’innocence perdue de la nature et la nostalgie d’une autre vie…Mitropoulos est l’homme qui, « …séchant les larmes du crocodile, rit, malgré lui, dans le ventre du crocodile », annonçant l’avenir obscur des villes avec un humour noir qui « …présuppose une connivence dans le meurtre », écrit D. Sapranidis dans son livre Histoire de la caricature grecque.

Il a édité plus de 20 albums (dont 2 recueils en italien, 1978 et en allemand, 1983) parus aux éditions «Gutenberg» :

1959 ΓΕΛΟΙΟΓΡΑΦΙΕΣ (CARICATURES)
1961
ΓΙΑΤΙ ΟΧΙ; (POURQUOI PAS?)
1964 ΠΕΡΙ ΑΝΕΜΩΝ ΚΑΙ ΥΔΑΤΩΝ (DE LA PLUIE ET DU BEAU TEMPS)
1965 ΠΟΤΕ ΠΙΑ (JAMAIS PLUS)
1970 ΑΠΟ ΤΗ ΓΗ ΣΤΗ ΣΕΛΗΝΗ (DE LA TERRE A LA LUNE)
1971 ΚΑΤΙ ΤΡEΧΕΙ (QUELQUE CHOSE NE VA PAS)
1973
Η ΚΟΙΝΩΝΙΑ ΤΗΣ ΑΦΘΟΝΙΑΣ (LA SOCIETE DE L’ABONDANCE)
1975
ΤΑ ΣΕΞΟΥΑΛΙΚΑ (CARICATURES SEXUELLES)
1978 RIVERISCO PROGRESSO (MILAN)
1979
ΟΙ ΣΠΟΡΟΙ (LES MOMES)
1981
ΕΛΛΑΔΑ, ΕΛΛΑΔΑΡΑ ΜΑΣ (VIVE NOTRE GRECE A NOUS)
1983 ACH DE LIEBES GRIECHENLAND (COLOGNE)
1983 ΤΗΣ ΠΟΠΗΣ (DU BORDEL)
1983 ΤΗΣ ΑΛΛΑΓΗΣ (DU CHANGEMENT)
1983 ΤΗΣ ΚΟΥΛΤΟΥΡΑΣ (DE LA CULTURE)
1986 ΥΨΗΛΟΜΙΣΘΟΙ (LES SUR-PAYES)
1988 ΓΑΤΙΑ ΣΚΥΛΙΑ (CHIENS ET CHATS)
1990 NO PROBLEM
1991
ΤΑ ΑΓΡΙΑ ΜΩΡΑ (LES GOSSES FEROCES)
1992 ΑΓΡΙΟΤΕΡΑ ΜΩΡΑ (DES GOSSES PLUS FEROCES)
1998 ΑΚΟΜΑ ΠΙΟ ΑΓΡΙΑ ΜΩΡΑ (DES GOSSES ENCORE POUS FEROCES)
2002 ΤΑ ΚΑΛΥΤΕΡΑ ΑΓΡΙΑ ΜΩΡΑ (LES GOSSES FEROCES : SELECTION)
2005 ΠΑΤΡΙΔΑ ΓΕΙΑ! (JE TE SALUE PATRIE!)

 
PETITE INTERVIEW ATYPIQUE

Anna Assario : -Qu’est-ce qui compte le plus pour vous, Monsieur Mitropoulos? Le dessin ou l’idée ?
Costas Mitropoulos : -C’est la trouvaille en général, la légende. Le critère est le rire, si on ne rit pas ce n’est pas une caricature digne de ce nom, c’est un simple dessin.

-Est-ce que la caricature stimule l’esprit critique?
-Non. Le but c’est le rire. Maintenant si en plus du rire on fait réfléchir, là, c’est un grand succès. Mais le lecteur doit être déjà prêt pour accepter l’idée qu’on lui suggère. Par exemple quand mon personnage dit que maintenant le Grec doit payer la note, l’histoire de la note passe doucement parce qu’on a ri d’abord.

-Est-ce que le lecteur, une fois qu’il a lu les gros titres recherche votre caricature pour avoir un condensé de l’actualité politique?
-Non, il cherche à rire, non à s’informer.

-Pendant la dictature vous aviez des problèmes de censure?
-Oui. Quand j’avais fait la caricature sur la statue de la liberté (voir plus loin), ça les avait dérangés parce qu’elle était publiée dans le Time. Bien-sûr, ils faisaient semblant de considérer le fait comme la preuve d’un régime démocratique…

Une autre fois j’avais fait une caricature à partir de la phrase prononcée par le Président de la République Alain Poher qui avait parlé d’un relent de fascisme en France, en faisant dire à un de mes personnages qui lisaient le journal : « ça sent jusqu’ici » (1969). Un certain Melistas, chef de cabinet du Bureau de Presse me convoque et me crie, sans arrêt : « qu’est-ce qui sent jusqu’ici? », « qu’est-ce qui sent jusqu’ici? » Il criait de plus en plus, je gardais le silence et à un moment donné la porte s’entre-ouvre et on voit la tête du garçon de café qui balbutie : « c’est le café qui sent, Monsieur, car il a débordé ». Fou de rage, Melistas, se met à hurler : « Va au diable toi et ton café! » et se tournant vers moi : « Au diable toi aussi! ».

-Vous êtes optimiste pour l’avenir de la caricature en Grèce? Vous aviez dit une fois que le malheur absolu pour un caricaturiste c’est d’être né en Suisse ou sous la dictature. Dans vos dessins, aussi grave que soit le sujet il existe toujours une note de tendresse, un espoir, contrairement à quelques uns de vos collègues, jeunes, dont l’agressivité devient cruauté sans issue.
-Pour nous tous de ma génération qui avons connu la guerre, où on apprenait par exemple en nous levant le matin que dans la nuit on avait tué 10 individus, nous nous sentons très près des hommes : des malades, des vieillards, des enfants…la nouvelle génération a vécu dans l’abondance et elle est dure.

-Le dessin sans légende on vous le doit, en partie.
-La caricature sans légende est sociale mais la caricature politique ne peut pas se passer de légende. A propos de légende, j’étais étonné un jour, où j’ai fait une visite dans une école primaire, avec quelle facilité les enfants imaginaient des légendes pour mes dessins sans paroles. Ils imaginaient plus que ce à quoi j’avais pensé.

Kostas Mitropoulos admire Reiser et Wolinski et pense que son style le rapproche de Sempé. Il se montre très étonné qu’une Université s’intéresse à la caricature, se demande en quoi son CV va intéresser quelqu’un (il trouve toujours pénibles les CV des autres) et pense que, la traduction étant impossible, il faudra ne présenter dans ce travail que des caricatures sans paroles. Il n’a pas tout à fait tort, en tout cas pour la dernière caricature présentée ici!

 

CARICATURES DE KOSTAS MITROPOULOS PERIODE DE LA DICTATURE :

-Vous partez pour New York, Mister Talbot ? Bien le bonjour à la statue de la Liberté !
(Caricature parue dans Ta Néa, en mars 1969, après le départ de l’ambassadeur des Etats-Unis, Talbot, venu contrôler le putsch militaire).

Le rôle des dessinateurs et des journalistes sous la dictature n’allait pas dans le sens de la résistance d’autant plus que l’image même du pouvoir était tellement ridicule par elle-même qu’elle annulait tout travail démythificateur (Sapranidis). Mais les suggestions auxquelles avaient recours les caricaturistes échappaient parfois à la censure puisque ceux-ci avaient appris à chuchoter le langage des symboles bien avant que leurs censeurs n’apprennent à le décoder. Cette force suggestive était ce qu’on pouvait souhaiter de mieux (comme pendant la dictature de Métaxas ou l’occupation allemande).

ALBUM : LA SOCIETE DE L’ABONDANCE


3. ALBUM : LES GOSSES FEROCES, SELECTION

Les gosses féroces : ce sont les enfants, qui ont un autre mode de communication, qui se servent de mots étrangers grécisés, de phrases tordues pour exprimer ce qu’ils veulent dire ou faire. C’est la génération des Néo-grecs à l’ADN dégénéré. Des héros qui refusent de grandir d’un album à l’autre comme s’ils étaientbourrésd’ouzo (Sapranidis). Humour noir qui enferme le lecteur dans sa logique.

-Cette société à la con que vous avez organisée, pépé, c’est de la merde !
-Elle est très bien, la société ! On s’est battus pour que le dernier petit con venu ait la liberté de dire ce qu’il veut !
-ALORS TA GUEULE !

-On t’a pas dit, toi, que les portables ça bousille le cerveau ?
-Le quoi ?
-J’ai rien dit, continue !

 

-C’est vous deux qui l’avez frappé ?
-Non, monsieur. Je lui ai dit une blague et il est mort de rire !

-Ecoute-moi ça ! Ha ! ha ! ha !
-Recommence pas avec cette blague ducon ! deux morts ça suffit !


-Il est toujours aussi petit çuilà ?
-Non, msieu r! Seulement après une activité sexuelle assidue !
-Avec votre fille !

 

4. ALBUM : JE TE SALUE PATRIE!

(LE MATCH DE FOOT A LA TELE)


VILLA « LA PAIX ».


(EMBARQUEMENT AU MOIS D’AOUT)

5. USAGE DE L’ARCHETYPE.

Présentation d’une caricature « intraduisible » car contenant un archétype gestuel.

« Le numéro de votre correspondant a changé ! Dorénavant vous devez faire précéder toute tentative de communication avec lui par le chiffre 5 ! ».

(Décodage : L’opinion publique adresse au groupe terroriste, 17 Novembre, le message suivant : « Le peuple grec n’est plus dupe ! dorénavant, c’est par le mépris que vous serez traités ! »).

Cette caricature politique de Mitropoulos met en scène l’opinion publique qui, sous forme de dame mûre a, paradoxalement, une attitude insolente pour son âge, à travers le geste injurieux qu’elle accomplit : 5 doigts écartés faisant face au terroriste.

Survivance symbolique de l’expression de déshonneur ou de mépris à travers ce geste offensant, dont la force expressive reste très vivace encore aujourd’hui. Ce geste et le mot qui le signifie (MOY(Ν)TZA) tiendrait son origine de Byzance où il existait la coutume de noircir à la paume ouverte, salie de fumée, la face des individus ayant commis des actes honteux, pour les déshonorer. De même, sous l’occupation ottomane on laissait la marque de la paume ouverte enduite de goudron devant les maisons closes.

Situation d’actualité : désillusion populaire, suite aux menaces et mensonges dont étaient truffées les interviews téléphoniques de la part des protagonistes du groupe terroriste, appelé 17 novembre, arrêté et incarcéré depuis juin 2002 et qui, par des textes subversifs mais en phase avec les enjeux de l’époque, avait fini par s’annexer l’opinion publique.

Non-identification entre éléments de la culture grecque et française (le signe gestuel est absurde pour la culture française même après l’explication linguistique) et le procédé de l’adaptation, en vue d’une traduction, (remplacer le geste injurieux par un autre reconnaissable pour un lecteur français) n’est pas possible ici : si on intervient sur la forme ce n’est plus une caricature de Mitropoulos.