Urtikan.net, du dessin satirique en ligne


Ce mardi 3 mai 2011, le webdo satirique Urtikan.net, lance son 3e numéro, le premier qui soit payant. Un magazine de dessins uniquement en ligne et accessible sur abonnement. Interview du fondateur François Forcadell, ancien rédacteur en chef de la Grosse Bertha, ancien conseiller artistique à Siné Hebdo et animateur du blog « Fait d’images » (entre autres choses…).

Avant de sombrer, La Mèche avait évoqué l’idée de ne se publier qu’en ligne, mais en refusant la régression « qualitative » que cela impliquait. Le Canard, Charlie Hebdo ou Siné Hebdo en son temps n’ont pas donné une grande importance à leurs sites respectifs. Sur quel raisonnement se fonde le lancement d’Urtikan.net, un magazine de dessins uniquement sur le web?

Le projet d’Urtikan.net se fonde sur la possibilité de créer un journal dont le coût de réalisation et de diffusion, grâce à Internet, n’ont rien de comparable avec le coût d’un journal classique imprimé sur du papier. Pour un journal diffusé en kiosque le diffuseur prend déjà 50% du prix, avec une garantie de résultat qui frise l’escroquerie. Sur Internet l’accès est libre et planétaire.

 

La mise en ligne il y a quelques mois de l’application « Ca ira mieux demain » a-t-elle joué dans la naissance d’Urtikan ?

Oui, car nous avions la même idée deux ans avant et leur arrivée nous a obligé à réfléchir à autre chose qui est devenu Urtikan.net. À la base dans les deux projets il y a l’intention de profiter des nouveaux réseaux technologiques de diffusion. Autre chose qui nous a orienté vers le net ce sont les démêlés qu’a eus Charlie Hebdo avec Apple pour faire homologuer une application qu’ils voulaient créer. Si « Ça ira mieux demain » n’a pas eu ce type de problème avec leur appli, c’est aussi parce que leur contrat stipule un certain nombre d’obligations restrictives dont les dessinateurs doivent tenir compte. Sur Internet en dehors des atteintes à la loi il n’y a aucune restriction imposée.

On parlait déjà de webzine à l’horizon 2000 et si aujourd’hui tout journal papier a son équivalent en ligne, les Pure players peinent à trouver le chemin de la rentabilité. Combien d’abonnés faut-il à Urtikan pour devenir pérenne ?

10 000 abonnés suffiraient à rendre l’expérience viable, lorsqu’on sait que Charlie Hebdo ou Siné hebdo ont vendu jusqu’à 65 000 exemplaires. Comme Charlie tourne aujourd’hui autour de 35 000 ex. et que Siné hebdo n’est plus, il existe pas mal de lecteurs amateurs de satire en déshérence. Notre objectif est d’en retrouver quelques-uns.

Contrairement au journal satirique traditionnel, Urtikan n’offre pas une très grande hiérarchie dans sa présentation. Un dessin domine un ensemble de vignettes renvoyant à des galeries. Pourquoi ce choix d’une certaine uniformité ? Des limites techniques liées à la taille et à la forme des écrans destinés à visualiser ces dessins ?

Urtikan.net a la même hiérarchie que peut avoir un journal papier, vous avez des pages que vous visitez l’une après l’autre, de la Une à la dernière, ou dans le désordre en utilisant un sommaire. Même sur la Toile on n’invente rien sur le sens de lecture, on adapte.

La présentation va évoluer au fur et à mesure que nous maîtriserons l’outil que nous avons inventé avec l’aide d’un webmaster ingénieux. Mais il est vrai que étant donné la recherche de compatibilité avec nombre de navigateurs – Firefox, Safari, Opera, Internet Explorer, Google Chrome -, on a des contraintes techniques qui nous brident pour le moment la structure, même si son utilisation est très fluide pour un site de ce genre.

 

Urtikan propose plusieurs rubriques : des rubriques thématiques qui rassemblent le travail de plusieurs dessinateurs, des chroniques « monographiques » avec des œuvres produites par un même caricaturiste (aucune femme dans la bande…), le « dessin du jour » où alternent les différents collaborateurs d’Urtikan, et enfin des rubriques « textes » avec courrier des lecteurs ou extraits de blogs ou de sites. Pour l’instant, pas d’animations. D’autres rubriques sont à l’étude ?

Urtikan.net est structuré de manière à ce que chaque dessinateur dispose d’un espace bien à lui et dans lequel il est libre de traiter le sujet qu’il a choisi et comme il l’entend. C’est le rédacteur-en-chef qui hiérarchise les pages dans le numéro en fonction de l’actualité. Les pages de textes, volontairement courts, sont là pour répondre à une demande des lecteurs. On a cherché des chroniqueurs mais on ne les a pas encore trouvés. Quant à la présence de femmes, même si on est loin de la parité, nous avons Ermeline Lechat qui écrit les brèves et la dessinatrice Camille Besse a rejoint l’aventure au n°2.

Peux-tu décrire le processus d’élaboration d’un numéro ? Quel est ton rôle par rapport à celui d’un rédacteur en chef traditionnel ? Qu’attends-tu des dessinateurs ?

Mon rôle est celui d’un rédacteur en chef traditionnel, je propose des sujets aux dessinateurs, on en discute et puis c’est à eux de s’exprimer sur le thème qu’ils ont choisi. Je veille à l’équilibre de l’ensemble aussi bien graphiquement que dans les idées. J’attends des dessinateurs qu’ils soient autonomes et qu’ils prennent du plaisir à dessiner. Je les encourage aussi à affirmer leur propre personnalité, c’est l’addition des originalités de chacun qui fait la diversité et l’intérêt du contenu.

 

Certains dessinateurs présents sur Urtikan publient régulièrement sur leurs blogs respectifs des dessins d’actualité « gratuits ». Une concurrence pour le nouveau webdo ?

Les dessinateurs qui constituent l’équipe se sont engagés à ne pas publier sur leur blog les dessins qu’ils font exclusivement pour Urtikan.net. Ils orientent même leurs lecteurs réguliers vers le webdo. A terme, Urtikan.net peut devenir pour eux une source de revenu si les abonnés sont au rendez-vous. Ils en sont conscients et savent aussi que, comme leur blog, ce journal est une vitrine pour eux.

 

Urtikan semble viser un public français plus que francophone. La consolidation d’un tel magazine en ligne pourrait passer par une « internationalisation » des crayons, des sujets et… peut-être alors des lecteurs ?

L’outil est planétaire et toutes les possibilités nous sont offertes sur la toile, mais il faut déjà le faire vivre tel qu’il est – en France ou dans les pays francophones – avant de penser à un développement international qu’Internet effectivement permet. Il est possible aussi que l’on publie des dessinateurs d’autres pays, le dessin est pour moi un langage universel.

 

Les journaux satiriques se construisent en général autour d’idées politiques et philosophiques affirmées. Quid de la sensibilité d’Urtikan ?

Aujourd’hui en France, les gens se désintéressent de plus en plus de la politique tellement l’attitude des politiques, de droite comme de gauche, les déçoit. Sans oublier le comportement d’un hyper-président qui n’est plus soutenu que par 28% de la population. Tout ça est un terreau extraordinaire pour la satire et la caricature. Bien sûr on prend des positions sur certains sujets mais on va éviter de s’engager de façon militante ce qui ne me semble pas être le rôle du caricaturiste s’il veut garder toute sa liberté d’expression.

 

Propos de François Forcadell (fondateur d’Urtikan.net) recueillis par Guillaume Doizy le 3 mai 2011