Nono, un dessinateur breton


Entretien avec le grand dessinateur breton Nono à l’occasion de la sortie de l’ouvrage « Nono – 40 ans de dessins en Bretagne ».

Nono, un dessinateur breton

Interview réalisée le 15 juin 2012

A l’occasion de la présentation à la librairie Dialogues (Brest) de l’ouvrage qui lui est consacré par Paul Burel et Yves Quentel Nono – 40 ans de dessins en Bretagne (Editions Palantines), Nono (Joël Auvin) a gentiment accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

Les Bretons connaissent bien Nono, qui a participé à différentes aventures journalistiques bretonnes (cf. infra) et propose actuellement chaque jour sa vision graphique d’un événement important dans les colonnes du Télégramme. Professeur de philosophie pendant de longues années, Nono a publié l’an dernier un ouvrage à recommander à tous les amateurs de philosophie (ou à ceux qui veulent le devenir) Dessine-moi la philo !

Dans cette interview, Nono fait part de l’intérêt qu’il porte à des caricaturistes comme Plantu, Cabu, Pétillon (qui signe l’avant-propos du premier ouvrage cité). Ces références ne surprendront pas les amateurs de l’œuvre de Nono, qui s’inscrit de toute évidence dans la lignée de ces derniers.

Le parcours de Nono

 Nono, pourriez-vous rappeler à ceux qui ne vous connaîtraient pas votre parcours de dessinateur de presse ?

 Je suis rentré à Ouest France en 1973, quand je suis arrivé à Carhaix comme professeur de philosophie. J’ai rencontré un journaliste, qui s’appelait André Sérandour et qui m’a proposé de dessiner pour la rédaction Ouest France de Carhaix. J’ai évidemment accepté avec plaisir, j’ai ensuite été contacté par la rédaction locale de Brest, avec laquelle j’ai beaucoup travaillé, puis par celles de Quimper, de Landerneau, donc dans le Finistère. Par la suite, j’ai travaillé pour d’autres rédactions, en Normandie (Coutances par exemple), en Vendée… J’ai aussi dessiné pour les pages plus générales de Ouest France, c’est-à-dire les pages économiques, sociales et politiques. Ce travail à Ouest-France a duré jusqu’en 1997, avec parfois de petits problèmes, des crises ; je suis passé au Télégramme en 1997 où je travaille depuis cette date. Je pourrai expliquer tout à l’heure pourquoi je suis passé de l’un à l’autre. Ces deux journaux dits régionaux ont des tirages un peu inégaux, mais ce sont à mon avis deux bons journaux qui accordent une place au dessin de presse

 Je crois que vous travaillez et avez travaillé aussi pour d’autres journaux

 Je travaille aujourd’hui encore et depuis des années pour Le Peuple Breton, qui est le mensuel d’un parti politique qui s’appelle L’Union Démocratique Bretonne, j’ai aussi collaboré à des revues, des journaux, des magazines qui ont disparu comme par exemple Oxygène, qui était un mensuel écologique breton, dans les années 1975-80. J’ai été aussi dessinateur à l’hebdomadaire Canard de Nantes à Brest,  j’ai aussi participé à une expérience fort intéressante avec Fri Louz , revue de bande dessinée créée par des Bretons.

 Peut-on parler d’un fort ancrage local ?

 Il y a un ancrage régional, un ancrage breton, je suis toujours resté vivre et dessiner au pays. Il est vrai que cela ne me déplairait pas de dessiner pour Le Monde par exemple, mais ce n’est pas apparemment dans l’air du temps. Donc je dessine en Bretagne et c’est vrai que je m’y sens bien, car j’ai l’impression que je traduis par mes dessins beaucoup de choses qui se passent en Bretagne.

 Avez-vous beaucoup de retours de lecteurs ?

 Oui, il arrive que des lecteurs se manifestent, de différentes manières. Il y a quelque temps, lors d’un salon, un lecteur est arrivé vers moi en me disant « Ah, c’est vous qui dessinez ainsi le Président Sarkozy, eh ben, écoutez, je ne vous félicite pas ! ». Je lui ai alors répondu qu’on était dans une démocratie et que j’avais quand même le droit de m’exprimer, de dessiner le président… Ces comportements agressifs sont toutefois assez rares. Généralement, je rencontre lors des salons des lecteurs qui sont toujours contents de parler de mes dessins, et il est vrai que beaucoup de lecteurs commencent la lecture de leur journal par le dessin de Nono, comme moi je commence par le dessin de Plantu quand je lis le Monde. Il arrive que des lecteurs me contactent soit par courrier postal, soit par téléphone pour me dire « Excusez-moi, Nono, mais j’ai une idée à vous proposer, donc je me permets de vous appeler pour vous proposer une idée de dessin ». Ce genre de commentaires est très sympathique, car cela veut dire que les gens sont à l’écoute du dessin, au regard, ils sont attentifs, ils sont réactifs.

 Utilisez-vous parfois ces idées ?

  Non, il arrive que quelques bons copains me soufflent parfois des idées que j’utilise avec plaisir, mais je suis tout de même quelqu’un qui travaille de manière solitaire

 Avez-vous fait récemment des expositions en Bretagne ?

 Oui. Actuellement, j’en fais une dans un lieu prestigieux, l’ex-pension Gloannec à Pont-Aven, où descendaient Paul Gauguin, Paul Sérusier, Emile Bernard… Marie-Jo Le Gall, qui gère la maison de la presse qui se trouve dans ce lieu, a inauguré il y a huit jours une galerie, dans cet espace où a dormi certainement Gauguin, et m’a invité à faire une exposition. J’ai choisi de faire des dessins sur l’Ecole de Pont-Aven, sur les peintres, avec pas mal de dérision. Autrement, j’ai participé aussi cette année à Lorient aux itinéraires graphiques, j’avais deux expositions : à l’initiative de l’Ecole des Beaux-Arts, j’avais une exposition à la Médiathèque de Lannester sur « Dessin de presse et illustration » ; à l’Atelier d’Estienne à Pont-Scorff, j’avais carte blanche pour inviter des amis artistes : j’ai invité deux photographes, deux sculpteurs, deux dessinateurs, et ma fille Marion a présenté des petits films d’animation. Ce fut une manifestation magnifique, sympathique. L’an dernier aussi j’ai fait une exposition au sémaphore de Penmarc’h, un lieu également prestigieux.

Ses méthodes de travail

 Comment travaillez-vous ? Vos œuvres sont-elles des travaux de commande de la part de Ouest-France et du Télégramme ?

 A Ouest-France, il y avait deux possibilités. Soit je répondais à la commande, d’abord pour les rédactions locales, puis pour les pages générales, mais je proposais aussi beaucoup de dessins, je proposais en fonction de l’actualité, de ce qu’elle m’inspirait. J’en proposais beaucoup, mais beaucoup ne passaient pas, et c’est un peu ce qui m’a incité à passer de Ouest-France au Télégramme, car j’étais un peu frustré de ne pas voir mes dessins publiés. J’avais rencontré le rédacteur en chef de Ouest-France pour lui dire que j’en avais un peu assez de ces publications trop irrégulières et il m’avait répondu qu’il ferait en sorte que cela se passe mieux. Mais la situation n’évoluant pas, j’ai répondu à l’appel du Télégramme. Au Télégramme, je réponds chaque jour à une commande, j’appelle la rédaction en chef vers 17 heures et rapidement, ils me disent le thème que je vais devoir illustrer et sur lequel je me mets à travailler. 

 Transmettez-vous vos dessins sous forme informatisée ?

 Oui, maintenant je scanne mes dessins ; avant je les faxais. Il serait intéressant d’étudier les modes de transmission des dessins, sur l’espace d’une trentaine d’années. A mes débuts à Carhaix , il n’y avait pas de fax, il n’y avait pas bien évidemment de scanner, c’était donc un taxi qui envoyait les photos et les dessins, de Carhaix à Quimper, puis de Quimper à Rennes. Par la suite, il y a eu un fax à Carhaix, pas à Ouest-France, mais dans une cartonnerie :  comme je connaissais une personne qui travaillait dans cette entreprise, j’envoyais mon dessin par fax.

 Réalisez-vous plusieurs dessins sur le même sujet ?

 Il arrive que j’en propose deux ou trois, ça dépend du temps que j’ai, ça dépend de l’inspiration. Il m’arrive aussi souvent de proposer deux dessins identiques, mais avec deux bulles différentes. Je fais généralement entre un et trois dessins.

 N’entrez-vous jamais en conflit avec la ligne du Télégramme, qui n’est pas vraiment un journal d’extrême-gauche… ?

 Non, ce n’est pas vraiment un journal trotzkiste… Conflit oui, il arrive parfois que je sois rappelé, mais ce n’est pas très fréquent. Je dois dire qu’il y a des sujets que je peux aborder au Télégramme et que je ne pouvais pas aborder à Ouest-France, ainsi la religion et le sexe. Au Télégramme, je peux dessiner le pape, je peux faire des dessins sur la religion, sur le sexe, bien sûr dans les limites du convenable. Je suis parfois rappelé parce que le dessin peut heurter la sensibilité de certains lecteurs sur le plan politique ou social. Si je fais par exemple un dessin un peu trop dur sur Marine Le Pen, on va me rappeler pour me dire : « Attention, là ça va quand même heurter la sensibilité des lecteurs du Front National ». Et comme certains lecteurs du Télégramme votent Front National, la rédaction ne veut pas se les mettre totalement à dos. De même, si je fais un dessin sur les bouchers et les boulangers qui heurte ces corps sociaux, on me demande alors d’être un peu moins virulent. Ouest-France et Le Télégramme ont un lectorat très large, bien plus large que celui du Monde, et sont obligés de tenir compte des différentes sensibilités. Il ne faut pas négliger cet aspect-là. L’autre jour, pour prendre un autre exemple, je fais un dessin sur DSK et les accusations qu’il portait à l’encontre de la femme de ménage ; j’avais mis dans la bulle ce commentaire de DSK :  « Ce sont des accusations fellacieuses ». C’était amusant, mais le rédacteur en chef m’a appelé pour me dire : « Nono, je ne pense pas que ma grand-mère accepte ce terme »… J’ai donc remplacé le terme « fellacieux » par un autre terme.

 Vous parlez des bulles et ainsi du texte. Il semble que le texte joue une grande importance dans votre œuvre.

 Oui, tout à fait. On peut bien entendu faire un dessin sans texte, sans bulle, mais le texte est pour moi souvent très important. Il faut tout d’abord qu’il ne soit pas trop long, il faut également qu’il relève du langage parlé, du langage quotidien, d’un langage simple,  avec des termes qui ne prêtent pas à confusion dans l’interprétation. C’est là l’un des problèmes du dessinateur : il ne faut pas que son dessin se prête à de multiples interprétations, il faut qu’il soit clair. Ce qui n’est pas toujours facile en raison de la diversité du lectorat. Des lecteurs qui ont 15 ans n’ont pas bien entendu la même perception que des lecteurs qui ont 50 ans. Je m’en suis rendu compte récemment : j’étais au lycée Kérichen (Brest) pour parler du dessin, et lorsque j’ai montré un dessin pour lequel j’avais utilisé la fameuse expression que tout le monde connaît « CRS-SS », les élèves de seconde ne l’ont pas compris, l’un d’eux m’a même dit « Qu’est-ce que c’est qu’un SS ? ». Quand on fait une caricature, il faut vraiment se dire que le dessin doit être compris par un maximum de lecteurs. Dans la caricature politique par exemple, il faut bien représenter les hommes politiques, il faut éviter les confusions ; quand on veut dessiner un corps social, un enseignant par exemple ou un magistrat ou une arrière-grand-mère bretonne, il faut trouver des signes, c’est-à-dire en quelque sorte des stéréotypes, qui permettent au lecteur de reconnaître tout de suite le corps social ou l’acteur en question.

 J’ai l’impression que vous préférez la caricature unique aux histoires dessinées, à la BD.

 Je ne suis pas un lecteur de BD, je n’ai fait qu’une seule BD, j’ai trouvé ça un peu lourd, je n’aime pas trop. Je trouve qu’un dessin de presse raconte déjà une histoire. Quand on fait un dessin de presse, on met en scène des personnages, avec un décor certes très simple – je ne charge pas mes dessins, je mets juste quelques signes – mais le dessin raconte une petite histoire, il crée une situation, et cette situation est aussi évidemment déterminée par le mouvement que l’on peut donner aux personnages, par l’attitude de ces personnages. On ne les dessine pas de façon statique, il faut les mettre en scène.

 Quelle est l’importance du rire et du sourire dans vos caricatures ? Vous semblez souvent rechercher la pointe comique ?

 Je ne sais pas, je ne ris pas à gorge déployée devant les dessins de Plantu, je souris beaucoup. Rire, sourire, c’est une bonne question…

 Mais vous recherchez bien l’effet comique ?

 Oui, bien entendu, je cherche l’effet comique. Dans le Télégramme, quand il m’arrive de faire un dessin qui colle trop au papier, à l’article, on me dit, « Non, lâche-toi, prends plus de distance par rapport au papier, donne ta propre interprétation » et je trouve ça intéressant, ça me permet d’avoir aussi plus de dérision dans mon dessin

 Avez-vous des hommes politiques, ou dans le monde culturel ou social, que vous aimez tout particulièrement dessiner ?

 On s’aperçoit que la plupart des hommes politiques ont une tête à être dessiné, et souvent je dis cela : « Est-ce que pour faire de la politique, il ne faut pas avoir une tronche à être caricaturé ? ». Il est vrai qu’il y a très peu de visages lisses dans le monde politique, à part peut-être Bruno Le Maire…,  ils ont tous des gueules. J’ai eu un plaisir fou à dessiner Sarkozy, à dessiner Chirac. Chirac, je dis souvent cela, c’était un paysage, son visage était un paysage, sans parler de son attitude avec son pantalon relevé très haut… On a parfois une espèce de tendresse pour des acteurs politiques avec lesquels on ne peut pas être en affinité. J’ai vraiment eu un plaisir fou à dessiner Sarkozy, Hollande lui est plus rond, mais il est intéressant quand même. Ayrault, quant à lui, n’est pas très simple à faire, mais lorsque nous avions fait un livre sur les leaders politiques, je l’avais rencontré dans son cabinet de maire à Nantes, et avais fait quelques croquis; je pense que cela va venir. Le maître de la caricature en France, pour moi, c’est Cabu, et je regarde ce que fait Cabu, sans bien entendu le copier. Même si son Sarko est peut-être moins bon que celui de certains autres, je trouve qu’il a un talent extraordinaire, il sait capter les visages.

 Combien de temps mettez-vous pout réaliser un dessin ?

 C’est assez rapide en fait. Chaque soir, je mets en moyenne à peu près une heure pour faire mon dessin pour le Télégramme, le temps de chercher l’idée, de faire le dessin, de le peaufiner un peu, puis de l’envoyer. Cela peut prendre plus de temps bien évidemment, mais je suis également parfois obligé de travailler dans l’urgence, ainsi lorsque je suis à « Dialogues » (grande librairie brestoise) à signer des bouquins à Dialogues et essaie de trouver un créneau d’un quart d’heure…

 N’est-ce pas une contrainte trop forte que de réaliser chaque jour un dessin?

 Bien sûr, c’est parfois un peu contraignant, surtout quand on est en déplacement, mais quand je suis chez moi, j’ai un plaisir fou à chercher une idée, j’aime bien avoir un peu de temps – entre 17h et 20h – pour chercher une idée de dessin, ne pas être « à la bourre », notamment pour représenter quelque chose qui peut ne pas être très facile à représenter, comme par exemple le problème des emprunts dans les banques…

 C’est toujours l’idée qui prime sur la main en quelque sorte ?

 Oui, par exemple, on me demande aujourd’hui de faire un dessin sur le perchoir de l’Assemblée Nationale. Le dessin va bien entendu s’articuler autour de cette idée de perchoir, donc d’oiseau… Il y a toujours comme ça un indice qui permet d’organiser un peu le dessin. J’ai l’habitude de dire que le dessin de presse est le mélange de deux choses assez simples finalement, la caricature naturellement – il faut savoir dessiner un peu – et l’idée. On peut très bien être caricaturiste sans être dessinateur de presse (cf. les nombreux caricaturistes à Paris devant Beaubourg). Le dessin de presse, comme je le disais à l’instant, c’est ce mélange de deux éléments, ce qui n’est pas évident. C’est l’idée qui n’est pas évidente. Et souvent, d’ailleurs, on n’est pas satisfait de l’idée que l’on trouve. Les gens demandent souvent: « Est-ce que vous n’avez pas l’angoisse de la page blanche ? ». En fait, non, parce qu’on a une telle habitude du dessin de presse que l’on trouve quelque chose, mais le résultat n’est peut-être pas très bon… Lorsqu’on est insatisfait, on cherche encore après avoir envoyé le dessin. Il m’arrive souvent, lorsque je dîne avec ma femme, de quitter le repas quand j’ai une nouvelle idée, de faire un nouveau dessin, de l’envoyer et de venir finir mon repas. On est toujours comme ça en train de chercher. En plus, parallèlement à cela, je réalise des travaux d’illustration, il faut trouver d’autres idées, donc c’est un travail constant de recherche.

Engagement

 J’ai lu que vous étiez assez proche de l’UDB…

 Oui, je fais actuellement des dessins pour les dissidents du PS en Bretagne, pour la candidate de Guingamp et  le candidat de Vannes, mais c’est vrai que j’ai toujours été un compagnon de route de l’UDB sans y avoir jamais adhéré.

 J’ai l’impression que vous n’êtes jamais très agressif, comme peuvent l’être les dessinateurs de ‘Charlie Hebdo’ par exemple …

 Oui, les lecteurs disent cela. Je ne suis pas très violent en fait par tempérament. Je suis assez doux.

 J’ai lu que vous aviez été en contact avec Plantu, on trouve du reste dans une brochure ancienne « Cent dessins pour la liberté de la presse » dont la couverture est réalisée par Plantu une de vos caricatures en première place. Vous m’avez dit apprécier beaucoup Cabu. Êtes-vous en relation avec eux ou d’autres caricaturistes ?

 De manière très épisodique. J’ai eu la chance de participer à Rabat à un salon du livre avec Plantu. Nous n’étions que deux dessinateurs français, du Monde et du Télégramme, en compagnie de dessinateurs marocains et d’un très bon copain, dessinateur algérien, qui signe  Le Hic. Nous avions passé quatre jours superbes à parler du dessin au lycée français de Rabat, à l’école de journalisme, à l’institut culturel etc… J’avais beaucoup échangé avec Plantu ; c’est vraiment quelqu’un qui a une grande passion pour le dessin, qui est aussi très pédagogue. Cabu, je le connais beaucoup moins bien, je serais évidemment très heureux de mieux le connaître. Autrement, je connais Chaunu qui travaille à Ouest-France, on s’est rencontré lors d’un « duel », d’une joute organisée par l’école des filles du Huelgoat, on a eu l’occasion de discuter voilà, c’était une rencontre intéressante ; je connais encore Pétillon, depuis longtemps : il est également breton, je l’ai rencontré grâce à la librairie Dialogues qui avait organisé il y a déjà bien longtemps des rencontres de dessinateurs. Je lui ai demandé de faire la préface de mon livre (« Nono – 40 ans de dessins en Bretagne »), ce qu’il a fait très généreusement. Mais en fait, je ne connais pas trop les dessinateurs de presse. En Bretagne, il y a certes un salon sympathique à Carquefou, un salon international, mais on est très peu à faire du dessin de presse. En Bretagne, il y a mon ami Goutal, et puis c’est à peu près tout. Chaunu lui habite en Normandie, à Caen. Il y a plus de spécialistes de BD en Bretagne, en dessin de presse, on n’est vraiment pas nombreux.

 De quel dessinateur vous sentez-vous le plus proche d’un point de vue stylistique?

 J’aime bien le dessin de Plantu, j’aime bien aussi le trait de Cabu, j’aime bien aussi Pétillon, j’aime énormément Jack Palmer, qui est un personnage extraordinaire, j’aime bien le dessin de Pétillon dans Jack Palmer. Je regarde beaucoup ce graphisme-là, j’y suis attentif. Je suis évidemment aussi un inconditionnel de Reiser, qui était pour moi l’un des grands maîtres, comme l’était aussi Gotlib, de manière un peu différente. Pour moi, ce sont les maîtres, Plantu, Cabu, Reiser, Gotlib, Pétillon…

Nono et la philosophie

 Vous avez publié l’an dernier un superbe ouvrage, « Dessine-moi la philo ! ». Comment vous est venue l’idée ?

 Quand j’étais professeur de philosophie, j’étais un gars assez sérieux, je ne rigolais pas trop en classe, je faisais travailler les élèves, je leur faisais lire les textes philosophiques, je ne dessinais pas en cours. Quand je suis parti en retraite, je me suis dit « bon, je vais faire quand même un bouquin sur la philosophie, essayer de réunir les deux, dessin et philo ». Dans un premier temps, je comptais demander à un collègue ou à une collègue de philosophie de m’aider, puis je me suis dit que je serais plus indépendant seul.  J’ai donc commencé par faire environ 120 dessins que m’inspiraient les philosophes, à partir de l’Antiquité grecque, 6ième siècle avant Jésus-Christ. Une fois les dessins réalisés, je les ai intégrés dans un texte racontant l’histoire de la philosophie, ses ruptures. Je souhaitais montrer l’évolution, montrer qu’il y a un mouvement que traversent des crises, des conflits et affirmer que les philosophes sont des créateurs. Ecrire le texte s’est avéré plus difficile que de faire les dessins ; je voulais au départ écrire un texte amusant, mais je me suis rendu compte qu’il était difficile de rédiger un texte amusant sur la philosophie et j’ai donc écrit un texte assez simple. J’ai pris beaucoup de plaisir à faire les dessins, à traiter un peu avec dérision malgré tout des auteurs très sérieux, tout en respectant leurs thèses, leurs idées. Ce qui est amusant, c’est dans la première édition il n’y avait pas de femmes ; l’éditeur m’a demandé d’y remédier ; j’ai rajouté quelques femmes, Simone de Beauvoir, qui n’est pas spécialement une grande philosophe, mais aussi Hannah Arendt et Simone Weil.

L’avenir du dessin de presse

 Est-ce qu’un jeune caricaturiste pourrait vivre en Bretagne du dessin de presse ?

 Je pense qu’il pourrait en vivre, à condition d’avoir un contrat avec un journal et à condition de publier régulièrement ses dessins … Quand j’étais dessinateur à Ouest-France, mes dessins paraissaient de temps en temps, et je ne pouvais pas en vivre. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours été professeur, la plupart du temps à mi-temps, ce qui m’assurait déjà un demi-salaire. Au Télégramme, j’ai un statut de pigiste, Plantu a lui un statut de journaliste éditorialiste ; certes, j’ai une carte de presse, mais je n’ai pour autant le statut de journaliste.  Bien sûr que je vis bien, aussi parce que je dessine par ailleurs, mais pour un jeune dessinateur… Cela fait 40 ans que j’inonde la Bretagne de mes dessins et je jouis donc d’une  certaine « notoriété », qui fait que cela fait boule de neige, je suis sollicité par ci par là pour faire des dessins. Je sors par exemple à l’instant d’une rencontre avec une personne qui s’occupe de toxicologie et veut des dessins sur ce thème.

 Avez-vous beaucoup de dessins chez vous ?

 Oui, plusieurs milliers. Je n’ai pas beaucoup d’ordre… Lorsqu’il a fallu que je me replonge dans les archives pour le livre sur les « 40 ans de dessins en Bretagne », la tâche n’a pas été facile. J’ai vraiment beaucoup de dessins.

Merci beaucoup, Nono, pour cet entretien (entretien réalisé par J.C. Gardes)