Les nouvelles aventures de la colombe de la paix


Angelika Schober
Communication au VIIe colloque international du Département de français de l’Université du Caire Le récit populaire entre oralité et écriture, 28-29-30 mars 2009.

 

 

 

 

Les nouvelles aventures de la colombe de la paix[1]

par Angelika Schober

La colombe de la paix constitue un bel exemple pour l’interaction entre le récit populaire et d’autres formes artistiques. A l’origine elle est un symbole religieux qui fait sa première apparition dans un texte sacré, l’Ancien Testament, qui constitue une sorte de récit populaire pour les juifs et les chrétiens. Aujourd’hui, grâce aux représentations graphiques, la colombe est connue dans le monde entier, en Occident comme en Orient. Elle est devenue un signe universel et transculturel qui passe par-dessus toutes les frontières. Son message est compris par les hommes et les femmes des différentes régions du globe, indépendamment de leur appartenance culturelle ou religieuse. Elle survole la planète entière, ses plumes blanches et son rameau vert signalent qu’il est question de paix. D’une paix conquise, retrouvée mais aussi, hélas, d’une paix menacée, voire perdue. A l’heure actuelle, la colombe de la paix apparaît sur des supports multiples, elle orne des cartes postales, des couvertures de livres, des objets divers et des graffitis muraux. Et on la trouve notamment dans les caricatures de la presse internationale auxquelles sera prêtée une attention particulière.[2]

Les réalisations graphiques de la colombe peuvent être considérées comme ses nouvelles aventures, car elles constituent des transpositions par rapport à sa première apparition dans le texte sacré qui est décrite dans le deuxième chapitre de la Genèse traitant du déluge. Afin de bien saisir les enjeux des nouvelles aventures – avec ses différences souvent significatives par rapport au récit biblique-, rappelons brièvement la première entrée sur scène. Après que l’arche s’est posé sur les monts d’Ararat, Noé ouvre la fenêtre. Pour savoir si les eaux ont diminué à la surface de la terre, il lâche d’abord le corbeau qui revient, puis la colombe qui revient également. Car elle non plus ne trouve pas d’endroit pour poser ses pattes. Mais lorsque sept jours plus tard Noé fait envoler de nouveau la colombe hors de l’arche, elle revient avec dans son bec un rameau d’olivier. Elle a donc trouvé la terre sèche. Et quand Noé la lâche pour la troisième fois, elle ne revient plus. Le déluge est fini.[3] Une belle illustration de cette première aventure se trouve à Venise, dans la Basilique Saint-Marc. Une mosaïque de la fin du onzième siècle (où dominent les couleurs jaune, bleu et blanc) montre Noé plein d’espoir et confiant en Dieu. Il fait envoler la colombe – et ce mouvement signifiera désormais, par extension, un geste d’espoir compris universellement. Il traduit l’espérance que la paix l’emportera sur la guerre.

Certains dessins de presse actualisent la première aventure de la colombe. Elle se fait envoyer par de nouveaux acteurs en fonction des événements politiques commentés. Un bel exemple (en jaune, brun, blanc et rouge) fut publié en Allemagne durant la Première Guerre mondiale. Sur la page de titre du journal satirique munichois Simplicissimus du 17 août 1915 figure à la place de Noé le pape Benoît XV qui fait envoler une colombe. Sont honorés ainsi ses efforts en faveur d’une conférence de paix internationale qui devait mettre fin aux hostilités. Les éléments verbaux soulignent le message pictural. Le dessin est intitulé Der Friedenspapst (Le pape de la paix).[4]

Cependant, dans la plupart des dessins de presse le champ d’action de la colombe s’est considérablement élargi par rapport au modèle originel. On peut dire qu’elle s’est émancipé du cadre biblique pour devenir un véritable acteur autonome qui vit diverses aventures en accomplissant des rôles multiples. De plus, elle est humanisée en ce sens que certains dessinateurs lui font exprimer des sentiments – la joie et la satisfaction quand la paix a remporté une victoire, la tristesse dans le cas inverse. La colombe connaît des succès mais aussi, très souvent, des échecs. Elle peut être blessée, maltraitée et même affronter la mort, mais elle est également capable de ressusciter.[5] Si à l’origine, en revenant à l’arche avec le rameau d’olivier, elle a annoncé une bonne nouvelle – le déluge a pris fin – , la colombe est aujourd’hui capable de remplir la fonction opposée. Elle peut dénoncer, en l’occurrence les adversaires de la paix. A cette fin, elle s’avère souvent très combative. Elle peut aller en guerre sans se soucier de son propre sort. Comme elle permet d’exprimer une opinion, elle est un moyen journalistique pour commenter les différents conflits armés de la planète Irlande du Nord, Kosovo, Darfour, Afghanistan, Liban, Iraq … Et évidemment le conflit israélo-palestinien. Le Proche Orient est en effet l’aire géographique où surgit le plus grand nombre de colombes. Les dessinateurs du monde entier vouent une attention particulière à la paix toujours menacée dans cette région.

Nous observons de plus que la colombe peut apparaître avec ou sans rameau d’olivier (qui est quelquefois remplacé par un épis de blé). Il est également possible que le rameau joue à lui seul un rôle important en devenant porteur de signification nouvelle. Si le brin d’olivier que ramène la colombe noétique à l’arche confirme dans la Bible l’espoir de l’homme et sa foi en Dieu, il peut exprimer autre chose dans un dessin de presse. C’est le cas d’une caricature parue dans la revue satirique anglaise Punch après la Première Guerre mondiale. Elle commente la création de la Société des Nations destinée à préserver la paix dans le monde. Mais le dessinateur Hulton Getty a des doutes quant au succès de cette entreprise et exprime ses appréhensions à l’aide du rameau. Le président des Etats Unis Woodrow Wilson, initiateur de la Société des Nations à Paris lors des conférences de paix en 1919, veut faire porter à la colombe non pas un petit brin d’olivier mais une branche entière, très grande et très lourde.

De toute évidence, cette tâche dépassera ses forces. Le message pictural est confirmé par des éléments verbaux – par le titre du dessin Overweighted (excédent de poids) autant que par le dialogue entre Wilson et la colombe[6]. A l’invitation du président américain « Voici ton brin d’olivier. Maintenant soit active », elle répond : « Bien sûr je voudrais plaire à tout le monde : mais cela n’est pas un peu gros ? »[7] L’histoire a donné raison aux réserves avec lesquelles Punch accueillit la création de la Société des Nations. Sa mission échoua. Ne pouvant empêcher la Seconde Guerre mondiale, elle fut remplacée par l’ONU créée le 26 juin 1945 à San Francisco. En ce qui concerne la colombe, nous verrons qu’en effet elle ne plait pas à tout le monde, même si ceux qui l’apprécient sont plus nombreux que ses détracteurs.

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Une nette extension du champ d’action de la colombe ainsi que des modifications au niveau symbolique peuvent être observées à partir des années cinquante du vingtième siècle. L’engagement de Pablo Picasso en faveur du « Mouvement pour la paix » dirigé par Laurent Casanova y est en grande partie responsable. Désormais la colombe sera une star internationale. L’affiche du premier Congrès mondial des Partisans de la paix qui se déroulait en 1949 à Paris[8] montre une colombe réalisée par Picasso.[9], Un mois avant le Congrès, le quotidien du parti communiste L’Humanité présente cette oeuvre avec ces mots : « C’est l’oiseau de la Paix, c’est l’oiseau vivant et doux dont le plumage éclate et repousse les ténèbres. […] La gorge frémit, l’œil étincelle, les ombres jouent sur les plumes […] tous les battements de ce corps tendre et parfait disent qu’il va […] repousser encore les forces de la nuit. Car cette douceur est aussi puissance. »[10]

Par la suite, la colombe fera le tour du monde. L’affiche de Picasso est reproduite dans les organes de presse communiste en France et à l’étranger et elle accompagne des manifestations diverses. Lors du troisième « Festival mondial de la jeunesse et des étudiants » (qui s’est déroulé du 5 au 19 août 1951 à Berlin-Est), une colombe surplombe la place Marx-Engels. A cette occasion, Picasso créa le fameux foulard en noir, rouge, bleu, jaune et blanc. Quatre profils en demi-lunes représentent les quatre continents (Europe, Amérique, Asie, Afrique) et au centre du carré se trouve la colombe.

C’est donc, ironie du sort, par l’intermédiaire d’un mouvement communiste, c’est-à-dire antireligieux, qu’un signe apparaissant pour la première fois dans un texte religieux acquiert une grande notoriété et commence à conquérir le monde. A partir de 1968, la colombe de la paix devient encore plus populaire. Elle accompagne les nombreuses manifestations des étudiants qui, de San Francisco à Berlin, protestent contre la guerre du Vietnam. Mais elle a aussi des ennemis, elle n’est pas aimée par tout le monde. A partir de 1949, en pleine Guerre froide, elle déclenche une véritable bataille de communication. Le mouvement anticommuniste « Paix et Liberté », soutenu par la CIA, riposte aux colombes de Picasso en présentant une affiche avec une colombe travestie. L’oiseau de la paix se trouve transformé en char d’assaut afin de tirer l’attention sur la menace soviétique qui pèserait sur le monde et pour discréditer les promesses communistes jugées fausses. Soyez vigilants est la devise, sinon vous serez écrasés. La colombe-char présentée par « Paix et Liberté » porte sur son dos l’emblème communiste, le marteau et la faucille, et son caractère dangereux est souligné par des éléments verbaux, onomatopéiques : « La colombe qui fait boum ». [11]

La colombe travestie réapparaît à plusieurs reprises. On peut dire aussi qu’elle fait des petits, étant donné que les réalisations ultérieures ne sont pas des reproductions identiques de la colombe créée par « Paix et Liberté ». Il s’agit d’adaptations, et ces drôles d’oiseaux ont en commun d’être transformés en chars d’assaut. L’un parmi eux surgit en Pologne au début des années quatre-vingt et orne une affiche de soutien au syndicat Solidarnosc qui venait d’être dissous en 1981. Cette colombe-char ressemble beaucoup à sa « mère ». Si l’on n’y trouve ni l’inscription «la colombe qui fait boum », ni l’emblème communiste, le marteau et la faucille, la cible est clairement indiquée par des éléments verbaux : « Pax Sovietica ».[12] Sur la Pologne planait en effet la menace d’une intervention soviétique, comme c’était le cas lors des revendications salariales des ouvriers à Berlin Est en juin 1953.

Une actualisation récente de la colombe travestie fut publiée le 18 septembre 2005 dans l’hebdomadaire espagnol El Païs. Avec quelques traits sobres, le dessinateur Maximo réalise une colombe-char selon le modèle de « la colombe qui fait boum » mais de manière plus subtile. De sorte qu’elle apparaît à la fois en tant que symbole de paix et comme insigne de guerre. De plus, à la différence des deux exemples cités ci-dessus, aucun élément verbal ou iconique ne permet de situer l’oiseau dans un contexte précis. On ne sait pas qui se donne l’air de la colombe en poursuivant également des buts moins pacifiques. Ce n’est qu’à l’aide de l’article dans lequel se trouve le dessin que la cible devient visible. Le texte signé par Piedra de Toque est intitulé Luces y sombras de Israel (Lumières et ombres d’Israël).

Une colombe plus ou moins travestie fut créée par le dessinateur libanais Armand Homsi qui publie dans le quotidien An Nahar et dans la revue féminine Nour. Pour dénoncer la situation extrêmement explosive dans la région, il choisit de représenter l’oiseau de la paix à l’aide d’allumettes. A nouveau, aucun élément verbal ou iconique ne donne des précisions quant au conflit en question. Mais cette fois-ci, c’est l’artiste lui-même qui commente son œuvre en écrivant : « Le conflit du Moyen Orient est toujours sans issue. Plusieurs négociations ont été tentées, plusieurs propositions exposées, de grandes puissances plus ou moins bien intentionnées s’en sont mêlées, des dizaines d’émissaires ont été envoyés, sans pour autant dessiner le plan de la paix pour éteindre enfin ce brasier. Dessiner le plan de la paix ? Une colombe … au parfum de soufre. »[13]

 

 

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Souvent nous trouvons la colombe de la paix en train de dialoguer, comme c’était le cas du dessin paru en 1919 dans Punch. Mais elle ne parle pas seulement avec différents hommes politiques, il est également possible qu’elle s’entretienne avec le Sphinx de Gizeh.

Plantu – grand dessinateur de colombes – commente ainsi sur la page de titre du quotidien Le Monde du 17 octobre 2000 l’ouverture du sommet de Charm el-Cheikh. Destiné à donner une nouvelle impulsion au processus de paix, il réunissait sous l’égide du président égyptien Hosni Moubarak les personnalités suivantes : le président de l’autorité palestinienne Yasser Arafat et le Premier ministre israélien Ehud Barak, le président américain Bill Clinton, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, le roi Abdallah de Jordanie et le représentant de l’Union européenne, l’ Espagnol Javier Solana. La colombe, sceptique quant au succès des négociations, sollicite l’avis du sphinx pharaonique qui veille sur la table des négociations. « Tu crois que cela va marcher ? » lui demande-t-elle. A quoi elle obtient, comme dans la mythologie grecque, une réponse énigmatique. En effet, qui saura relever le défi que constitue la paix au Proche Orient ?

Les aventures de la colombe de la paix – à savoir ses mutations et transformations – sont multiples dans les dessins de presse internationaux et appartiennent à des registres divers. Si à l’origine elle était un signe d’espoir, elle peut aujourd’hui exprimer le contraire et signifier le désespoir. En effet, elle vit souvent la triste aventure d’être attaquée, voire mise à mort. Ce qui ne l’empêche nullement de continuer son chemin de combattante pour la paix. Même mutilée, elle ne recule pas devant les obstacles, dans les situations désespérées, elle essaye de se maintenir malgré tout. Un exemple de ce type se trouve dans l’hebdomadaire anglais Guardian Weekly du 8 au 14 mars 2003 juste avec le début de la seconde guerre contre l’Iraq. Cette fois-ci, nous avons affaire à une vraie colombe de la paix qui périra sous un véritable char d’assaut. Le dessinateur Steve Bell dénonce ainsi l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de l’Iraq. Il fustige la volonté de mener cette guerre coûte que coûte. Sans tenir compte du fait qu’aucune arme de destruction massive n’ait été trouvée sur le sol irakien par les inspecteurs des Nations Unis. Sans tenir compte non plus des efforts de la troïka France, Allemagne, Russie qui cherche une issue diplomatique. Le commandant du char – représentant le président américain Georges W. Bush – a la vue barrée par une grande carte sur laquelle figure au dos le drapeau américain. Aveuglé par ce qu’il considère comme les intérêts américains, il donne l’ordre « Full speed ahead ! » (Fonçons à fond !). Sans pitié il écrasera ainsi la petite colombe qui se trouve avec sa béquille devant le char. Gravement mutilée, unijambiste et blessée au bras, elle n’a aucune chance. Autrement dit, les efforts diplomatiques menés par l’ONU et la Troïka sont vains.

Une image particulièrement touchante de la colombe blessée fut réalisée par le dessinateur égyptien Nagui. Assise sur un cactus dont les fruits – appelés ‘figues de barbarie’ en français – sont des bombes, elle souffre visiblement des blessures que lui causent les épines. Des gouttes de sang rouges coulent sur son corps blanc, ses larmes appellent la pitié. La colombe, accablée par la barbarie des hommes, exprime la souffrance des victimes de la guerre. La couleur verte du cactus n’indique aucun espoir, à la différence du vert de l’olivier. Au contraire, elle souligne le désespoir. Une fois de plus, aucun élément verbal ou iconique ne donne des précisions quant au conflit en question, seule la date permet de le situer. Publié dans Hebdo Al-Ahram du 14 au 20 avril 1999, le dessin de Nagui commente la guerre du Kosovo au moment où commence l’intervention de l’OTAN.[14]

Les souffrances de la colombe peuvent être moindres que dans les dessins analysés ci-dessus. C’est le cas lorsque l’oiseau sert à illustrer des initiatives en faveur de la paix qui se trouvent insuffisamment honorées. Le dessinateur saudien Mahmud Kahil, dont les images contiennent souvent des colombes, déplore ainsi dans l’hebdomadaire Al Magallah du 27 avril 2002 que les propos du monde arabe pour promouvoir la paix ne soient pas pris au sérieux. Dans une conférence internationale, l’orateur arabe, reconnaissable à sa moustache, brandit une colombe et plusieurs autres colombes – c’est-à-dire des propositions de paix – figurent dans sa communication. Ses efforts sont considérables et soulignés par des gestes. Le monsieur, fortement ému, tape avec son poing sur la table, sa voix martèle que « nous tendons la main pour la paix, la paix et encore une fois la paix. » Mais la réaction du public est décevante. Le seul auditeur arabe physiquement présent se sent peu concerné. Il s’est endormi. Et quant aux autres diplomates, des Occidentaux en l’occurrence, ils ne veulent même pas écouter le discours. Démonstrativement ils ont quitté la salle. Mahmud Kahil souligne leur manque d’égard et d’attention par un jeu de mot. En réponse à l’orateur, l’un d’eux s’exclame « Ya salam ! ». Ce que l’on peut traduire par « Fichez-nous la paix ! »

La colombe de la paix ne se trouve pas nécessairement dans le rôle de la souffrante ou de la frustrée comme dans les dessins précédents. Même à l’heure actuelle, elle figure quelquefois comme un signe d’espoir, si la situation politique le permet. C’est le cas du quotidien saudien Al Hayat du 4 février 2009. Pour honorer les bonnes intentions du nouveau président des Etats Unis en matière de politique étrangère, Sabih Sadad représente Uncle Sam avec une grande colombe sur sa main. En effet, les discours de Barak Obama sont encourageants et soulignent sa volonté de trouver des solutions pacifiques aux conflits internationaux. Autrement dit, avec le langage de la caricature, le président Obama donne des nouvelles couleurs à la colombe. Si le dessin ne fournit pas des précisions quant aux conflits en question, on peut penser au projet d’un retrait des troupes américaines de l’Iraq.

Revenons à la situation au Proche Orient qui suscite le plus grand nombre de commentaires dans la presse internationale. Un dessin publié dans le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et repris par le quotidien français Le Monde du 25 et 26 février 2007 montre trois cages d’oiseaux qui enferment, de gauche à droite, le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, la colombe de la paix et le président de l’autorité palestinienne Mahmud Abbas. Les hommes politiques, de taille égale, se regardent et se mesurent avec méfiance. Selon le dessinateur allemand Horsch, les deux côtés – les Israéliens autant que les Palestiniens – sont donc enfermés dans leurs positions respectives et par là la colombe se trouve également claustrée. Pour sortir de cette impasse et pour faire envoler la colombe, il faut de l’aide extérieure. Les clés du succès sont à portée de main mais ne peuvent être attrapées par les principaux concernés eux-mêmes.

La colombe la plus malheureuse se trouve sans doute sur le mur de séparation à l’entrée de Jérusalem-El Quods. Elle est un vrai signe de désespoir. Réalisée par un dessinateur anonyme avec des couleurs blanc, noir, rouge, brun et photographiée par Katherine Kiviat, elle fut publiée dans le Courrier International en février 2009.[15] Il s’agit d’une colombe morte qui se fait dévorer par un lion, symbole de Jérusalem. Son cadavre porte l’inscription ironique Bird of terror (oiseau du terrorisme). Par son couvre-chef, elle est identifiée au peuple palestinien et plusieurs éléments intégrés dans le dessin cherchent à faire comprendre pourquoi elle se trouve dans cette position lamentable. Sont dénoncés des intérêts économiques (Money, $, esquisse d’un puits de pétrole) ainsi que « l’hypocrisie » écrite en grandes lettres. La situation insoutenable est soulignée par le fait qu’à la gauche du dessin se trouve un panneau qui souhaite en trois langues -hébreu, arabe, anglais- la bienvenue à Jérusalem. Notons que la colombe a perdu son rameau et que la couleur verte du panneau n’est pas porteuse d’espoir en ce moment.

Peut-on garder l’espoir au Proche Orient malgré tout ? En dépit de toutes les déceptions et souffrances qu’amènent les échecs successifs du processus de paix ? Dans le même numéro du Courrier International, le dessinateur israélien Kichka (qui fait partie de la fondation « Cartooning for Peace » créée en 2007 par Plantu[16]) présente une colombe qui refuse de céder au désespoir. Même en hiver 2008 –2009 pendant l’intervention de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. En ce moment particulièrement sombre, la colombe se met à la recherche d’un nouveau rameau. Autrement dit, elle espère trouver une nouvelle raison d’espérer. Elle rencontre un arbre minuscule avec lequel s’entame le dialogue suivant : « Je suis un olivier bonzaï » dit-il, à quoi elle répond : « J’ai tout mon temps. » En effet, la colombe de la paix a l’habitude de patienter, au Proche Orient comme ailleurs. Une fois de plus, sa patience est mise à une rude épreuve.

Si la branche que voulait lui faire porter le président Wilson en 1919 était trop lourde pour la colombe, il faut espérer que le petit bonsaï de 2009 comblera ses attentes. Quatre-vingt-dix ans séparent les deux dessins. Dans l’intervalle, la colombe n’a pas cessé de survoler le globe et ses régions de crise. En tant qu’acteur et spectateur elle a parcouru un long chemin entravé de mille obstacles, mais toutes ses aventures, souvent douloureuses, ne lui ont pas ôté son élan. Elle confirme ce que dit le proverbe : « L’espoir fait vivre. »

Pour terminer, contemplons une colombe heureuse qui figure sur une carte postale.[17] L’artiste, dont le nom n’est pas indiqué, montre la ville trois fois sainte Jérusalem-El Quods sous les heureuses auspices de la paix. Dans un ciel bleu elle vole au milieu des emblèmes des trois religions monothéistes représentés en jaune doré – la Menorah, le clocher d’une église et le minaret d’une mosquée. La coexistence pacifique entre juifs, chrétiens et musulmans ainsi scellée se trouve confirmée par les éléments verbaux intégrés également en jaune doré dans l’image. Le mot « paix » est écrit en arabe (salem), en hebreu (schalom) et en latin (pax). Sur le dos de la carte figure le psaume 122.8 : « Pour l’amour de mes frères, de mes amis laisse moi dire : PAIX sur toi ».

Université de Limoges/

Paris



[1]Cet article était une communication au VIIe colloque international du Département de français de l’Université du Caire Le récit populaire entre oralité et écriture, 28-29-30 mars 2009, publiée dans les Actes du colloque sous la direction de Gharraa Mehanna, Elain publishing House, Cairo, Egypt, 2009, pp.225-238.

Je tiens à remercier Alban Poirier pour son aide très précieuse en ce qui concerne la mise en forme et l’intégration des dessins dans le texte.

[2] Existe-t-il un seul pays au monde où la colombe de la paix ne soit pas connue ? Il me semble que non. Dans ma collection se trouvent des exemplaires réalisés par des artistes algériens, allemands, anglais, canadiens, chinois, égyptiens, espagnols, français, iraniens, israéliens, italiens, koweïtiens, libanais, mexicains, norvégiens, palestiniens, russes, suédois, suisses, syriens, thaïlandais, uruguayens…

[3] Cf. Genèse 8.6-8. D’après La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l’Ecole biblique de Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée, Les éditions du Cerf, 1998, p.40-41.

[4] Cf. mon article « La colombe de la paix » dans Les animaux pour le dire. La signification des animaux dans la caricature, Ridiculosa n°10, Université de Bretagne Occidentale, 2003, pp.61-72. Actes du colloque organisé par Angelika Schober en collaboration avec Margarethe Potocki à l’Université de Limoges les 16 et 17 mai 2003, p.63.

[5] A ce sujet voir les chapitres « Les combats de la colombe », « Souffrance et mise à mort », « Mort et résurrection » dans mon article « La colombe de la paix » cité ci-dessus.

[6] Si dans ce dessin les éléments verbaux confirment le message pictural, cela n’est pas toujours le cas. Plusieurs rapports entre texte et image sont possibles. On peut distinguer trois grandes catégories : confirmation du message, rajout d’informations nouvelles, opposition entre éléments picturaux et éléments verbaux. Cf. mon article « Mutations de la colombe de la paix dans quelques dessins de presse» publié dans les Actes du colloque Textuel et visuel. Interconnexions entre textes et images satiriques que j’ai organisé à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l’ Université de Limoges les 22 et 23 avril 1999. Ridiculosa n°6, Université de Bretagne Occidentale, 1999, pp. 113-124.

[7] Punch, or the London Charivari du 25 mars 1919.

[8] Il se tenait du mercredi 20 au vendredi 23 avril 1949 dans la salle Pleyel et rassemblait 1908 délégués communistes de 64 nationalités. 363 journalistes commentaient l’événement.

[9] La lithographie (type lavis à l’encre sur zinc, 70×54,5 cm) fut réalisée – d’abord sans intentions politiques – le 9 janvier 1949 dans l’atelier de l’artiste, rue des Grands-Augustins, dans le 6ème arrondissement de Paris. Par la suite, Picasso réalisait des centaines de colombes dont une partie fut reproduite sur des cartes postales.

[10] L’Humanité du 25 mars 1949, p.1, article non signé.

[11] Cf. mon article « De la colombe de la paix à la colombe qui fait boum », in Procédes et symboles de destruction de l’adversaire, Ridiculosa n°8, Université de Bretagne Occidentale, 2001, pp. 68-70.

[12] Ibid.

[13] La colombe et le commentaire se trouvent dans le Courrier international n°634-635 du 26 décembre 2002 au 8 janvier 2003, p.66. Cette page est consacrée uniquement à Homsi.

[14] Cf. mon article « La colombe de la paix », op.cit., p. 67.

[15] Courrier international. Hors série, février-mars 2009 : « Juifs et arabes. Les haines, les conflits, les espoirs. Enquête sur 80 ans de tragédie ».

[16] Cette fondation réunit des caricaturistes de plusieurs pays : Algériens, Américains, Belges, Français, Israéliens, Palestiniens, Turcs ….

[17] Merci à Bernadette Lemoine de m’avoir offert cette carte.