Humour et pouvoir


Appel à contribution Humour et pouvoir – Dominations et résistances

12-13 novembre 2015

Colloque de l’École Doctorale de Science Politique – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Centre Européen de Sociologie et de Science Politique
Date limite: 30 juin

Tour à tour instrument de domination, arme critique ou support de représentations, l’humour peut être étudié comme partie intégrante des rapports de pouvoir. Comment révèle-t-il des rapports de pouvoir entre interactant·e·s? Entre groupes sociaux ? Quelle est la place de l’humour dans la construction de dispositifs de pouvoir ? Quel rôle joue le pouvoir dans le rire? Ce dernier permet-il le renforcement ou au contraire le détournement et la déstabilisation d’un ordre dominant ? Comment l’humour est-il utilisé pour représenter le pouvoir et la vie politique ? Qui a le droit à l’humour ? Ce colloque propose d’ouvrir une perspective sur les multiples articulations entre humour et pouvoir, à travers différentes échelles d’investigation et contextes historiques, sociaux, culturels et géographiques.

Effectivement, qu’ils soient provoqués, enregistrés ou partagés, les rires, moqueries, plaisanteries, caricatures, sarcasmes et manières de tourner en dérision sont fréquemment rencontrés par les chercheur·e·s en sciences humaines et sociales lors de leurs pérégrinations. S’ils font parfois irruption sur le terrain ou dans nos réflexions, les rires peuvent aussi fonctionner comme les révélateurs d’enjeux de pouvoir, de luttes et de résistances qui ne disent pas toujours leur nom. Nous proposons donc aux participant·e·s de réfléchir aux façons dont pouvoir et humour se rencontrent, s’affrontent, s’apprivoisent, ponctuellement ou de manière plus centrale, dans leurs objets de recherche, disciplines et terrains.

Les relations entre humour et pouvoir peuvent être saisies dans différents espaces sociaux. La satire peut être un moyen de renforcer ou de questionner les représentations sociales de certaines professions, que les femmes seraient par exemple incapables d’exercer (Rennes, 2013). Dans le monde du travail, le rire peut aussi avoir fonction d’épreuve de la hiérarchie et/ou d’une complicité (dans les relations de travail à l’usine, Frisch-Gauthier, 1961 ; dans le milieu carabin, Zolesio, 2014) ou de mise à distance de situations exceptionnelles pour les usagers mais qui sont quotidiennes pour les travailleurs (dans les hôpitaux, Peneff, 1992). L’humour se donne aussi à voir dans le travail politique lui-même, pouvant fonctionner comme support de représentations et de mise en scène politique (Collovald, 1992). Les caricatures ont particulièrement retenu l’attention des historiens (De Baecque, 1988 ; Tillier, 1997) mais à partir des années 1990, les émissions télévisées comme le Bebête Show, les Guignols de l’info ou The Daily Show aux Etats Unis, ont fait l’objet de plusieurs travaux de recherche de sociologues et politistes, qui ont notamment souligné leur capacité à « fonctionner comme vérité du jeu politique » (Collovald et Neveu, 1996) ou étudié leur rôle dans la socialisation politique (Tournier, 2005, Baumgartner et Morris, 2006). Plus récemment, l’humour des talk shows a également fait l’objet d’un travail sur le jeu des subversions de l’ordre dominant et des représentations de genre, de race et de classe (Quemener, 2009 ; 2012 ; 2013) et son rôle dans les mobilisations sociales a également été analysé (Bos et t’Hart, 2008).

L’humour apparaît dans ces différents contextes et interactions comme le support de rapports de forces, que ce soit entre groupes sociaux dans la sphère du travail, dans les médias, dans l’arène politique, ou dans les institutions étatiques, familiales, religieuses et scolaires. C’est aussi plus largement le cas dans les relations interindividuelles, de jeu ou d’amour, au sein desquelles les dispositifs de pouvoir avancent parfois plus masqués. Parce qu’il permet de critiquer, de maintenir à distance, de réaffirmer ou de contester des représentations dominantes, l’humour est l’enjeu de luttes sociales et de luttes de classement.

Les contributions proposées pourront s’appuyer sur un ou plusieurs des axes suivants :

1. Conditions de production du rire

“C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens”, Molière, La critique de l’École des femmes

Qui fait rire et dans quelles conditions sociales et économiques est produit le rire ? Ce dernier se décline sur différents supports : productions artistiques (écrits, spectacle, image, etc.), médias, publicité. Quelles représentations du pouvoir sont véhiculées par l’humour à travers ces mediums et pourquoi font-elles rire ? La professionnalisation de certains métiers qui font commerce de l’humour conduit-elle à modifier ces représentations ? Les communications pourront ainsi examiner le rôle des intermédiaires qui sélectionnent ou mettent en scène ces productions culturelles du rire, puisqu’ils détiennent peut-être en partie le pouvoir d’établir ce qui fera ou ne fera pas rire, de renouveler ou non les codes sociaux du rire, favorisant ainsi l’expression de certains humours par rapport à d’autres. La “professionnalisation” du rire et son évolution pourront également être interrogées dans cette perspective. Dans les univers culturels et médiatiques, le rôle que jouent la légitimation ou la délégitimation des genres humoristiques comme ressorts des luttes sociales de domination symbolique pourra également être analysé. Finalement, l’examen du pouvoir de certains rires nationaux sur les styles humoristiques d’autres pays permettra d’approfondir l’analyse des rapports de domination sur la scène internationale.

 

2. Usages sociaux du rire

« On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », Pierre Desproges

Une deuxième manière de questionner ou de saisir la place du pouvoir dans les pratiques du rire est de travailler sur les mécaniques de l’humour, c’est-à-dire de s’intéresser à ses usages en se demandant de quoi on rit, sans oublier de prendre au sérieux qui rit (Friedman et Kuipers, 2013) . Car, si le rire permet de mettre à distance l’objet comique (Bergson, 1900), cette dynamique pourrait être davantage explorée, notamment en questionnant les manières dont l’humour s’articule avec les différents ordres sociaux.

Les contributions à cet axe pourront ainsi explorer comment les représentations incorporées lors de la socialisation et les rapports de pouvoir entre groupes sociaux (Flandrin, 2011) participent de ce qui est perçu comme drôle. Les individus rient-ils de la même chose et de la même façon – dans des situations aussi différentes que lors de spectacles des humoristes professionnels ou lors de simples interactions du quotidien relevant de la moquerie ou de la plaisanterie ? Comment le renforcement et le retournement de stigmates contribuent-ils à la construction de l’humour ? En retour, quels sont les effets de l’humour sur l’entretien de catégorisations identitaires, nationales, raciales, sexuelles, de genre ou de classe ? Et dans quelle mesure contribue-t-il à donner de la cohésion à ces communautés et groupes sociaux ?Quels sont alors les facteurs qui permettent de distinguer l’usage du rire comme instrument d’inclusion ou d’exclusion sociale, le dispositif de domination de celui de résistance quotidienne ? Pourquoi certaines mises en scène du pouvoir sont-elles perçues comme ridicules et font rire (par exemple pour certain·e·s, les rôles incarnés dans les sexualités se référant au sadomasochisme) ? Les contributions pourront ainsi appliquer ces interrogations générales à différents espaces sociaux, le cadre de la recherche scientifique pouvant également y être inclus. Les chercheur·e·s ont-t-ils recours au rire ou subissent-ils des rapports de moquerie ? Quand, de quoi et avec qui rient l’enquêteur·e et l’enquêté·e ? Quand et pourquoi est-ce qu’un sujet de recherche devient “rigolo” ?

3. L’humour dans les luttes politiques

« En politique, on n’est jamais fini. Regardez-moi ! » Alain Juppé

Caricatures, émissions satiriques et parodies informent la représentation du pouvoir et participent à la formation des opinions politiques. Dans l’exercice de communication, femmes et hommes politiques peuvent ainsi faire rire pour adoucir leur image ou déstabiliser un adversaire (Charaudeau, 2013). Quelles sont les modalités de cet usage stratégique de l’humour par les politiques ? Dans les mobilisations, la caricature ou la satire apparaissent aussi comme instruments de contestation des institutions étatiques, religieuses, nationales ou internationales. Que ce soit durant la révolution française (de Baecque, 1988) ou plus récemment lors des révolutions arabes (Meddeb, 2013), l’humour a ainsi pu être utilisé pour disqualifier les pouvoirs institués. Quelle est la place de l’humour dans les répertoires d’action collective (Bos & t’Hart, 2008) ?  L’investissement contestataire des humoristes peut aller jusqu’à la présentation de candidatures, comme Coluche (Mercier, 2001) Beppe Grillo en Italie ou encore Tiririca au Brésil, qui apparaissent comme des moments de contestation des règles du jeu politique. Comment la circonscription du rapport entre humoristes et politiques nous renseigne-t-elle sur l’existence de conventions implicites réglant les possibilités d’un recours critique à l’humour ? Entre outil de communication et instrument de contestation, quels sont les différents usages de l’humour dans les luttes politiques ? Les contributions pourront également interroger les effets de ces usages sur les rires “ordinaires” et leur rapport au politique : l’humour est-il un support de politisation qui contribue à la démocratisation de l’information politique ou, au contraire, la dérision du pouvoir entraîne-t-elle une mise à distance cynique des institutions, voire une dépolitisation ?

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Modalités de soumission

L’appel à communication est ouvert aux différentes disciplines des sciences humaines et sociales, afin d’éclairer les multiples dimensions des rapports entre humour et pouvoir. Nous encourageons vivement les jeunes chercheur·e·s et doctorant·e·s à proposer des interventions. Les communications doivent s’appuyer sur un travail empirique solide, mais peuvent envisager des formats de présentation moins conventionnels.

Les résumés devront comprendre :

– Nom(s) et prénom(s) des auteur·e(s)

– Affiliation(s) et statut(s)

– Titre de l’intervention

– Résumé d’environ 3000 signes (espaces compris) de l’intervention. Ce résumé devra

préciser l’objet de la communication, l’axe ou les axes dans lesquels elle s’inscrit,

ainsi que la méthodologie et/ou les sources sur lesquelles elle s’appuie. Une courte

bibliographie pourra également être incluse.

– Une biographie des auteur·e(s) (maximum 500 signes, espaces compris), précisant

notamment leur(s) discipline(s) d’ancrage et leurs domaines de recherche

Les propositions ainsi que toute demande d’information devront être envoyées à

humour.pouvoir@gmail.com

Calendrier

30 juin : date limite pour l’envoi des résumés des communications

Courant juillet : réponse des organisatrices et organisateurs du colloque

25 octobre : envoi de la communication écrite (20 000 signes espaces compris)

12-13 novembre : colloque

Lieu à préciser (Paris)

Comité d’organisation

Antoine Aubert (CESSP-Paris 1), Madeline Bedecarre (CESSP-EHESS), Anne Bellon (CESSP-Paris 1), Caroline Bertron (CESSP-Paris 1-Lausanne), Alban Chaplet (CESSP-EHESS), Natália Frozel Barros (CESSP-Paris 1), Myrtille Picaud (CESSP-EHESS)

Comité scientifique

Annie Collovald (CENS-Université de Nantes)

Marlène Coulomb-Gully (LERASS-Université Toulouse 2)

Julien Duval (CESSP-CNRS-EHESS)

Julien Frétel (CESSP-Paris 1)

Johan Heilbron (CESSP-CNRS)

Sandrine Lévèque (CESSP-Paris 1)

Wilfried Lignier (CESSP-CNRS)

Marc Loriol (IDHES-CNRS-Paris 1)

Frédérique Matonti (CESSP-Paris 1)

Jean-Marc Moura (CSLF-Paris 10)

Nelly Quemener (CIM-Paris 3)

Gisèle Sapiro (CESSP-CNRS-EHESS)

Emmanuelle Zolesio (ACTÉ-Clermont Ferrand)