Les langages du corps en bande dessinée


Appel à communications
Les langages du corps en bande dessinée, 8-9 octobre 2014
Date limite: 30 mars 2014

La critique s’est souvent penchée sur le corps dans sa souffrance ou dans sa jouissance, mais considère moins la question, dans sa globalité parfois contradictoire, du corps comme sujet et objet, porteur et producteur de discours. Le courant psychanalytique plaçait le corps en « grand organisateur des représentations » (Tisseron, 78) en analysant l’espace de la page comme une projection du corporel. Plus généralement, la critique a montré la pertinence de l’analyse sémiotique et s’attache à l’analyse de corps soumis à une lecture narrative, séquentielle, structurée, qui existeraient d’abord en tant que supports du récit. Or, la lecture de la bande dessinée se caractérise par une temporalité double, où le temps linéaire du récit côtoie le temps suspendu de la contemplation, que Lessing associait intimement au domaine du visuel. Il nous semble que le corps, parce qu’il est tout ensemble objet de fascination et support privilégié du récit, invite à considérer à la fois l’aspect séquentiel et l’aspect graphique de la bande dessinée.

En effet, la question du trait apparaît centrale eu égard à la thématique qui nous occupe, puisque le dessin implique un « corps des deux côtés » (corps dessiné et corps dessinant), de même qu’il interroge un double jeu de regards (corps regardé et corps regardant). En cela, le corps est porteur et producteur de sens, engagé dans un réseau de discours historiques, sociologiques, médicaux, anthropologiques, esthétiques et linguistiques.

Notre colloque aborde la question du corps en bande dessinée en interrogeant le langage de ses représentations. Par langage, nous entendons non pas simplement le texte discursif (qui s’opposerait à l’image muette) mais bien le langage propre à la bande dessinée qui en fait un média et un art à part entière.

Will Eisner a écrit « la forme humaine est de loin l’image la plus universelle que l’artiste séquentiel ait à traiter » (Eisner, 103, nous traduisons). Pourtant, le corps en BD ne va pas de soi. Il est mouvement, relief, animation, alors même que le dispositif de représentation est au contraire de nature fixe et bi-dimensionnelle, contrairement au cinéma qui apparaîtrait à première vue comme le média le plus apte à traiter l’objet. Il y aurait donc une capacité propre à la bande dessinée à compenser l’irreprésentable du corps, à travers des usages spécifiques de ses ressources formelles.

Nous nous intéresserons donc à ce que Matteo Stefanelli décrivait en 2012 comme « une question épistémologique décisive : les relations entre bande dessinée et corporalité, cadre inévitable pour décrire les procédés matériels et symboliques [qui] modèlent le sens de la bande dessinée » (Maigret et Stefanelli, 261).

Axes thèmatiques Différents axes d’entrée dans le sujet nous apparaissent pertinents :

1) Le corps dessiné comme support de discours idéologiques et de représentations sociales. La culture occidentale cultive à l’égard de l’image une suspicion toute particulière, qui se manifeste dans l’histoire de la BD par des accusations répétées mettant en cause sa sensualité et son immoralisme. De même, on sait le rôle tenu par le média dans l’émergence durant les années 60 d’une culture jeune opposée à l’idéologie dominante. Le corps apparaît comme un support par excellence du discours subversif porté par une certaine bande dessinée.

2) Le corps comme langage en soi. L’étude du corps dessiné pourrait permettre de réviser, ou du moins compléter l’approche sémiotique de la bande dessinée comme séquence narrative afin de l’appréhender également dans sa dimension purement graphique. Le corps apparaît comme un véhicule de la narration et de transmission de l’expressivité. Il s’agirait de s’interroger sur l’expressivité du corps dessiné entre grammaire séquentielle et approche calquée sur la langue.

3) Ce que disent les corps souffrants ou malmenés : de même que la santé ne se définit qu’en négatif (i.e. par l’absence de maladie), le corps ne ferait récit que comme corps altéré, affamé, souffrant, malade, incomplet, atteint dans son intégrité. À l’inverse, il semblerait que le dessin dans sa perfection anatomique montre une fois pour toutes et ne raconte rien. De plus, lorsque le dessinateur quitte le domaine de la représentation réaliste, les déformations du corps prennent une fonction narrative supplémentaire, à travers la charge symbolique du corps qui se fait métaphore du psychisme.

4) Les marges de silence du corps : la représentation en bande dessinée est une représentation exclusivement visuelle (si l’on exclut la sensation tactile du livre lui-même) qui ne peut faire appel aux cinq sens. Quelles stratégies représentationnelles les auteurs mettent-ils en place pour répliquer le langage des sens ? Alternativement, l’absence de corps condamne-t-elle la bande dessinée à l’abstraction ? Y a-t-il un point limite au-delà duquel la bande dessinée ne peut plus représenter le corps ?

Ces suggestions ne sont que des axes possibles, destinés à orienter la réflexion et la production. Ils ne sont en aucun cas hermétiques les uns aux autres, et il nous semble même que toute étude particulière doive nécessairement mettre en évidence une circulation entre les différents pans de la question. À titre d’exemple, examiner le cas de la censure reviendrait à interroger en même temps la perception sociale de l’image, la question de la sensualité du dessin et la mise en narration d’un récit qui se dévoile et se dérobe.

Modalités d’envoi des propositions Les propositions de communication (500 mots environ) sont à envoyer

à aymeric.landot@ens-lyon.fr

et isabelle.guillaume@ens-lyon.fr

avant le 30 avril 2014 Les propositions feront figurer les coordonnées précises du ou des auteurs (nom, prénom, université, adresse électronique) ainsi que le titre de la communication.

Comité scientifique Jean-Paul Gabilliet (Bordeaux Montaigne) Paul Arnould (ENS Lyon) Paul Chopelin (Lyon 3) Philippe Delisle (Lyon 3) Henri Garric (ENS Lyon) Tristan Martine (Marne-la-Vallée / Université de Lorraine) Bénédicte Tratnjek (Université de Clermont-Ferrand – IRSEM) Bibliographie M. BARKER, Comics : Ideology, Power and the Critics, Manchester, Manchester University Press, 1989. W. EISNER, Comics and Sequential Art, New York, W. W. Norton, 2008. T. GROENSTEEN, Système de la bande dessinée, Paris, Presses Universitaires de France, collection Formes sémiotiques, 1999. G-E. LESSING, Laocoon ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture (1766), trad. fr., Paris, Hermann, 1990. E. MAIGRET et M. STEFANELLI (dir.), La bande dessinée : une médiaculture, Paris, Armand Colin-Ina, 2012. S. MCCLOUD, Understanding Comics, New York, Harper Perennial, 1993. P. ORY et alii, L’Art de la bande bessinée, Paris, Citadelles & Mazenod, 2012. B. PEETERS, Lire la bande dessinée, Paris, Flammarion, 1998. R. SABIN, Adult Comics : An Introduction, London ; New York, Routledge, 1993. T. SMOLDEREN, Naissances de la bande dessinée de William Hogarth à Winsor McCay, Paris, Les Impressions Nouvelles, 2009. S. TISSERON, Psychanalyse de la bande dessinée, Paris, Presses Universitaires de France, 1987.