Rire et bêtise


Appel à contribution pour le numéro 41 d’Humoresques, Printemps 2015
Rire et bêtise
Date limite: 30 septembre 2014

 

 

Il faut bien l’avouer, on rit parfois bêtement, que ce soit aux plaisanteries obscènes d’Aristophane, au ballet de la fiole d’urine dans la Farce de Maistre Pathelin, à l’énumération des Torches-culs de Rabelais, à l’humour potache des zutistes, devant des sculptures de Paul McCarthy ou encore devant les Nuls, Groland ou South Park à la télévision.

Associer rire et bêtise, c’est mettre en question la légitimité sociale de certains écarts propres à susciter le rire. Le qualificatif bête opère une mise à distance vis-à-vis des normes qui caractérisent tout à la fois l’intelligence et la bonne conduite. La bêtise serait ainsi la transgression des normes qui font appartenir au monde social. S’y joue donc une sorte de régression, régression au stade de l’enfant qui ne maîtrise pas encore les codes sociaux, ou à état dominé par les pulsions primaires (nourriture, excrétion, pulsions sexuelles). Mais elle serait aussi transgression des normes de l’intelligence (de la pensée efficace) par les figures de la répétition (Gilles Deleuze), de la tautologie (Clément Rosset et plus récemment Alain Roger), par l’absurde ou peut-être encore dans  la sidération zen (le koan).

Lorsque la bêtise fait rire, elle fait éclater de rire. Elle relève d’un rire-réflexe, celui de l’humour, différent d’un rire rétrospectif, d’un rire-réflexif, celui de l’ironie, qui suppose un substrat, des valeurs stables sur lesquelles moquerie ou critique, stigmatisation ou subversion se fondent.
Il existe peut-être une forme intermédiaire, empruntant sa temporalité à l’éclat de rire et ses objets au rire-réflexif : la bêtise crasse, ou plutôt grasse. Celle-ci relève du comique épais, lourd ; de l’humour potache et des blagues ayant trait au corps, au sale, à l’obscène, se rapprochant par là du réalisme grotesque défini par Bakhtine.

C’est donc dans le champ des pratiques, des normes et des tabous qu’il conviendra d’interroger l’articulation entre rire et bêtise. Une approche en termes de légitimité sociale permettra à la fois de tenir l’idée de régression (un comportement pulsionnel, d’enfant ou d’animal exclut du monde social, à moins d’être l’amuseur de service, la « grosse bête » qu’est le neveu de Rameau de son propre aveu) et de revivifier les couples oppositionnels habituels du type haut/bas corporel.
Il sera ainsi possible de s’interroger sur le rire du mauvais goût, le rire du corps non-conventionnel, celui des « monstres » ou des Freaks, mais aussi d’interroger dans une approche moins sociale et plus psychologique le rire des adolescents, à la manière de Paul Denis dans son récent ouvrage De l’âge bête (Paris, P.U.F., 2011) proposant de lire le rire bête comme un mécanisme de défense face au corps en pleine métamorphose.

Ce numéro entend aussi aborder la bêtise comme stratégie comique, lorsqu’il s’agit de provoquer de l’inadaptation sociale pour faire bouger les lignes, ébranler les normes en étant tout à la fois ludique et critique, dans la perspective des poèmes zutistes ou des Arts Incohérents par exemple, mais peut-être aussi dans celle d’une esthétique Camp ?

L’opposition entre bêtise et idiotie a été élaborée au détriment de la première, faisant de l’idiotie un objet esthétique tout autant qu’un objet d’étude, quand la bêtise, bête noire du XIXe siècle français (Baudelaire, Flaubert, les Goncourt) servait de figure repoussoir, ce dont témoignent les actes du colloque Bêtise et idiotie (Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2008). De l’idiot en revanche, Deleuze fait un personnage conceptuel ayant trait à la maïeutique (Socrate fait l’idiot), et Jean-Yves Jouannais voit dans l’idiotie l’essence même de la modernité en art, ébranlant plus efficacement que les avant-gardes politiques l’ordre bourgeois (L’idiotie, Paris, Presses de l’Ensb-a, 2003).
A la simplicité de l’idiotie qui relève plutôt d’une carence physiologique et peut nous amener à nous interroger sur notre propre intelligence s’oppose donc la balourdise de la bêtise épaisse, inadaptation sociale excessive et outrancière qui choque et/ou fait rire.
Ainsi si faire délibérément l’idiot est une manière de faire réfléchir, on pourra se demander comment faire le (la) bête peut alors servir à autre chose qu’à amuser la galerie, et s’il y a une efficace qui résiderait dans le trouble ainsi introduit dans l’ordre social.

A titre d’exemple, quelques axes de réflexion possibles et non-exhaustifs :

 

Concept/notion

Identification : quels critères pour parler de rire bête ou de comique épais ?
L’opposition comique épais vs. esprit, humour au raisonnement raffiné constitue-t-elle un frein à la réflexion sur la bêtise ?
Peut-il y avoir de la bêtise au second degré ? La bêtise a-t-elle des limites ?
La bêtise est-elle traduisible ?

 

Création/réception.

Sociologie : quel public pour le comique épais, de la farce aux Nuls ?
Histoire: une histoire du rire bête est-elle possible ?
Psychologie : l’âge bête et le rire ? quand ? pourquoi ?
Bêtise commerciale et bêtise intellectuelle : art contemporain, cinéma, télévision.
La bêtise peut-elle constituer une stratégie de subversion ?

Les propositions d’articles (300 mots, suivies d’une courte notice biographique d’environ 10 lignes) sont à envoyer pour le 30 Septembre 2014 à Morgan Labar:
morganlabaar@gmail.com
Les textes dont les propositions auront été retenues sont à remettre pour début février 2015