LE RIRE MODERNE appel à communication


Colloque qui se tiendra les 15 au 17 octobre 2009, organisé par l’équipe PHisTeM (Poétique historique des textes modernes ; resp. : Alain Vaillant et Roselyne de Villeneuve) du Centre des sciences de la littérature française de l’université Paris X – Nanterre.

La singularité du XIXe siècle français, venant après la chute de l’Ancien Régime et la Révolution française, peut être caractérisée de bien des manières. Politiquement, par le lent, difficile et contrarié apprentissage du parlementarisme et de la vie démocratique ; économiquement, par l’entrée dans l’ère du capitalisme industriel et par la constitution d’un marché massifié des biens de consommation ; socialement, par l’irrésistible ascension de la bourgeoisie et des classes moyennes, ainsi que par l’émergence d’un prolétariat urbain ; plus généralement, par un bouleversement profond et irréversible de tous les aspects de la vie quotidienne.
Mais, du point de vue culturel, l’innovation la plus spectaculaire, la plus indiscutable et, cependant, peut-être la moins considérée est la consécration du rire, au point que cette présence obsédante et multiforme du rire paraisse à bon droit comme la marque distinctive de la modernité.
Non qu’on ait ignoré le rire jusque-là, loin de là. Sans remonter jusqu’au carnaval médiéval ou à la comédie de l’âge classique, on sait à quel point l’esprit du XVIIIe siècle a incarné pour l’Europe entière le génie français. Mais ce rire était doublement restreint. D’une part, fonctionnant à la fois comme un rite de reconnaissance et comme un instrument, particulièrement efficace de la critique intellectuelle ou morale, il était mis au service d’une vaste entreprise – très sérieuse celle-là ! – de contrôle social des opinions et des comportements. D’autre part, cet esprit était une qualité propre au monde aristocratique, clos sur lui-même et se conformant à des règles de sociabilité parfaitement déterminées : l’ironie y régnait et y atteignait une extraordinaire sophistication, parce qu’elle était comme une partition où chacun savait la musique qu’il devait y jouer. Au contraire, le rire devient, au XIXe siècle, public : il transgresse les frontières sociales, interpelle indifféremment chacun, envahit toutes les formes d’expression et de communication. En fait, ce rire n’est que l’envers, joyeux et moqueur, de l’espace public qui est alors en voie de structuration. Il s’empare de tout le terrain laissé libre par l’effondrement, ou du moins le déclin des deux formes d’autorité sacrée qui sont soumis à une contestation permanente : le roi (ou l’empereur) et la religion. Mais il permet aussi tout au long du siècle, dans la mesure où la démocratie élective conjuguée au suffrage universel n’entrera durablement en vigueur que sous la Troisième République, d’adresser un perpétuel pied de nez goguenard à l’égard de pouvoirs jugés illégitimes et représente une sorte de compensation pour la privation des droits politiques.

Sur la plan littéraire et artistique, la nouveauté essentielle, dans l’émergence de cet immense continent du comique, est que rire et faire rire constitue désormais une pratique culturelle à part entière, qui est progressivement dotée de ses propres outils formels ou génériques (l’histoire drôle, la blague, la caricature, le monologue comique…) et bénéficie du formidable essor de nouveaux médias (la presse et l’image) ainsi que de l’explosion du monde du spectacle. Enfin, le rire contamine l’ensemble des grands genres littéraires traditionnels, et, de Hugo à Mallarmé en passant par Balzac, Flaubert, Baudelaire ou Rimbaud, s’inscrit plus ou moins secrètement au coeur des entreprises esthétiques les plus considérables.

 

À l’intérieur de ce cadre général, le colloque se propose de repérer et d’explorer, dans une double perspective d’histoire culturelle et de poétique historique, les traits majeurs de ce rire moderne. Sont donc volontairement laissées de côté les approches monographiques sur les grands auteurs du corpus littéraire (cependant, ceux-ci y ont bien sûr toute leur place, ne serait-ce que pour le matériau textuel qu’ils offrent à l’analyse), ainsi que la question, pourtant essentielle, du lien entre le rire et le lyrisme – ou, plus généralement, entre le rire et la subjectivité auctoriale. Concrètement, cinq directions de recherche seront privilégiées :

1/les métiers du rire

Bien au-delà du comique de scène où il était cantonné, le rire devient un métier, qui s’exerce aussi bien dans l’espace du journal (chroniqueurs, auteurs de brèves, fournisseurs de charades et autres histoire drôles…) ou dans les arts plastiques (où la caricature parvient alors à réaliser la synthèse entre l’esprit satirique et l’exacerbation fantaisiste ou fantastique de l’imagination) qu’au spectacle, où les formes nouvelles se succèdent, du théâtre de vaudeville style Empire jusqu’au cabaret fin de siècle, où s’esquisse la figure de l’humoriste du XXe siècle. On s’attachera ici à mettre en relation ces données historiques avec l’évolution de l’esthétique du rire.

2/les mots et les images pour rire

C’est la conséquence du primat désormais accordé au rire, considéré en lui-même et aimé pour lui-même, sur ses usages satiriques. Là où la culture classique privilégiait le mot d’esprit, censé jouer sur les idées, et bannissait au contraire la manipulation ludique du matériau iconique ou linguistique, le rire moderne se singularise par une extraordinaire promotion des formes dévaluées du comique (jeux anagrammatiques, plaisanteries sur l’onomastique, à-peu-près et métaboles diverses, caricatures). En particulier, tout le siècle semble être pris d’une vraie passion collective pour le calembour, dont on retrouve les traces dans les oeuvres littéraires apparemment les plus sérieuses. Cet engouement pour des procédés jusque là abandonnés à la culture enfantine ou populaire doit d’ailleurs être mis en relation pour la fascination pour le « rire d’en bas » (rire scatologique, grivois ou obscène).

3/le siècle de la parodie

Ce point va de pair avec le précédent. Si l’âge classique a vu le triomphe culturel de la satire – du « comique significatif », dans la terminologie de Baudelaire –, la parodie sous toutes ses formes règne dans la culture moderne, comme si le plaisir – innocemment malicieux peut-être autant que subversif et critique – prenait désormais le pas sur tout autre, retrouvant cette simple joie d’imiter qui est à la source du comique : parodie par le geste, le langage, l’image, la scène. Il s’agira ici, par diverses voies et à partir de différents corpus, de s’interroger sur le sens et la valeur artistique de l’intention parodique.

4/l’esprit de non-sérieux

Le XIXe siècle est aussi le siècle de la blague et du canular. Ces multiples avatars de la mystification font généralement l’objet soit de pittoresques anecdotes biographiques soit d’interprétations sociologiques, lorsqu’ils manifestent la volonté de marginalisation et de provocation des milieux de la bohème artistico-littéraire à l’égard du « Bourgeois ». Mais l’accusation de mystification a pu aussi être portée, par exemple, contre Baudelaire ou Mallarmé, et il est probable qu’ils en aient eux-mêmes joué. En fait, la mystification est la forme la plus visible de cet esprit de non-sérieux qui semble empreindre le meilleur de la création : plus que jamais, l’intérêt sera de mettre en regard pratiques sociales et productions culturelles.

5/de la fantaisie ou délire

Le théâtre idéal selon le Gautier de Mademoiselle de Maupin et la farce potachique que Jarry compose autour du Père Ubu ont au moins un point commun : utiliser le rire pour se libérer de toute sorte de vraisemblance ou de réalisme, laisser l’imagination se déployer, comme en apesanteur, dans un monde mi-onirique mi-fantastique. Et, à côté de Gautier ou de Jarry, la liste des rieurs voués au « comique absolu » (Baudelaire) est à peu près infini : le Hugo de Han d’Islande, Banville, Pétrus Borel et le petit Cénacle, Baudelaire bien sûr, Lautréamont, Allais et le Chat noir, etc. Mais la nature même de ce rire, provocatrice et dérangeante, explique qu’il est resté le plus souvent dans les marges de la littérature ou de l’art : il sera particulièrement intéressant de s’attacher à celles de ses manifestations, individuelles et collectives, qui sont ainsi restées au second ou à l’arrière plan, non pas tant avec l’intention de les exhumer que pour les remettre en perspective historique. Sur un versant plus grave, cette conception délirante du comique pose enfin le problème, qui a fasciné les contemporains, du lien entre le rire et la pathologie psychologique et sociale.

 

Les propositions de communication (titre et résumé programmatique de 10-20 lignes) sont à adresser à Roselyne de Villeneuve (roselynedevilleneuve@yahoo.fr) ou à Alain Vaillant (alaingp.vaillant@free.fr) avant le 15 janvier 2009.