Touchez pas à nos crayons!


Journée d’études à l’UFR Lettres et Sciences Humaines de Brest

Touchez pas à nos crayons! Caricature et liberté d’expression
Avec la participation des dessinateurs Alain Goutal, Nono et Loïc Schvartz
Vendredi 19 juin à partir de 10 heures en salle B001

 

 

 

Les événements tragiques de début janvier qui ont lourdement frappé la revue « Charlie Hebdo » ont suscité dans une très large part de la population française une émotion d’une ampleur inégalée. Les slogans « Je suis Charlie », « Nous sommes Charlie » sont venus apparemment témoigner de la volonté des Français de défendre la liberté d’expression. Mais que signifie réellement cette notion utilisée sans réflexion par tous, même par bon nombre de contempteurs d’une véritable démocratie ?  

 

Une fois les premières émotions passées, il est plus que jamais nécessaire, avec le recul, de s’interroger sur cette notion même de liberté d’expression et sur les limites éventuelles à lui donner dans le cadre de la caricature. La question « Peut-on rire de tout ? » a souvent été posée, mais mérite d’être à nouveau débattue à la suite des événements récents qui s’inscrivent, contrairement au grand combat mené par bon nombre de caricaturistes au tournant du vingtième siècle pour la laïcité, dans un contexte mondial. Les images circulent aujourd’hui avec une rapidité extrême, les caricatures de « Charlie Hebdo » sont immédiatement connues dans toutes les parties du monde, qui sont engluées dans des rapports de force politiques qui dépassent largement le contexte satirique.

 

Pour mener à bien cette réflexion, la journée d’études du 19 juin « Touchez pas à nos crayons ! Caricature et liberté d’expression » réunira différents universitaires et trois dessinateurs bretons, Alain Goutal, Nono et Loïc Schvartz.


Touchez pas à nos crayons ! Caricature et liberté d’expression

10 :00 Allocutions du doyen et du directeur d’HCTI , EA 4249
10 :15 : Présentation de la journée

Séance du matin   Modérateur : Manuel Montoya

10 :30 : Origine et évolution de la notion de caricature (Jean-Claude Gardes)
11 :00 : L’image satirique : le « crash test » de la liberté d’expression (David Rivière)
11 :30 : Autocensure et censure dans la presse régionale  (Nono, interviewé par Isabelle Le Corff)

Pause déjeuner

Séance de l’après-midi   Modératrice : Isabelle Le Corff

14 :00 : Les écoles d’art, des fabriques de liberté au rythme de l’actualité (Sarah Fouquet)
14 :30 : Quand l’autocensure conforte le stéréotype : le cas de l’image dans l’islam  (Soufian Al Karjousli)
15 :00  Grain de sable citoyen  (Alain Goutal interviewé par Benoît Quinquis)
15 :45 : Liberté d’expression, les limites du moi, les contours de l’image (Martine Mauvieux)
16 :15 : Le dessein sans peine (Loïc Schvartz interviewé par Michael Rinn)
17 :00 Table ronde avec les dessinateurs


Séance de dédicaces

Résumés des interventions des universitaires

Origine et évolution de la notion de caricature (J.C. Gardes, PR UBO)

La notion même de caricature est née relativement tardivement. Ce n’est qu’en 1646 qu’est employée pour la première fois par Mosini l’expression « ritrattini carichi » (portraits chargés) pour qualifier les portraits déformés réalisés par les frères Carrache à Bologne, dans un dessein ludique et non satirique. La notion actuelle de caricature, dont les contours demeurent néanmoins assez flous, prend certes appui sur cet art de la « caricatura », mais aussi sur les images agressives des feuilles volantes du 16ième et du 17ième siècles qui font confiance au symbolisme pictural plutôt qu’à une transformation artistique. Et c’est ainsi que, partie d’une plaisanterie d’atelier, la caricature est devenue une arme sociale, destinée à démasquer l’outrecuidance des puissants et à tuer le ridicule.

L’image satirique : le « crash test » de la liberté d’expression (David Rivière, Docteur en Droit Public, UBO)

« Il ne peut y avoir de liberté que hors du langage »(…). On ne peut en sortir qu’au prix de l’impossible (…) un acte inouï, vide de toute parole, dressé contre la généralité, la grégarité »1. Cette grille d’analyse empruntée à Roland Barthes permet de considérer l’image satirique comme une sortie possible des représentations standardisées du langage. Mais cette issue a un prix ; celui des limites juridiques fixées à la liberté d’expression. La loi du 29 juillet 1881 énonce clairement ces limites à la lumière desquelles le juge pénal doit interpréter les images satiriques portées devant lui à l’occasion d’un procès. Souvent utilisées comme une justification pour masquer des pressions politiques, l’injure et la diffamation font partie de ces limites que la juridiction pénale soumet à son filtre. L’exercice est délicat car le juge affronte des situations toujours nouvelles par ailleurs susceptibles de convoquer des valeurs que ce dernier partage. Mais énoncés sous formes de principes généraux et objectifs, les critères d’interprétation dégagés par la Cour de cassation ou la Cour européenne des droits de l’Homme ont permis de bâtir une jurisprudence cohérente et lisible grâce à laquelle le droit à la satire est particulièrement protégé.

BARTHES Roland « leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France » 7 janvier 1977

Les écoles d’art, des fabriques de liberté au rythme de l’actualité (Sarah Fouquet, Professeur à l’ESAM de Caen)
Pour savoir où en est la démocratie il faut certes regarder à la loupe la presse, et la place qu’elle dédie à l’image satirique, mais il ne faut jamais oublier d’en faire autant avec les écoles d’art. Ce sont là des espaces particulièrement symboliques en terme d’ouverture sur le monde et de formation à l’esprit critique. Ainsi, le 7 janvier, lorsque la rédaction de Charlie Hebdo a été très sauvagement attaquée, les étudiants en école d’art se sont aussi tôt mobilisés, leur rendant hommage par les images mais surtout faisant honneur, par des actions spontanées et protéiformes, à cet esprit de liberté sans bornes, dans lequel tous n’ont de cesse de se reconnaître.

Quand l’autocensure conforte le stéréotype : le cas de l’image dans l’islam  (Soufian Al Karjousli, formateur à l’école de Saint Cyr Coetquidant à Guer)

L’islam, présenté dans la majorité des discours, que ce soit de la part des musulmans ou des non musulmans, ou encore à travers les médias (notamment les médias français) est un islam forcément iconoclaste. Or, la réalité est beaucoup plus complexe et plus nuancée. Ce décalage entre la diversité des positionnements de l’islam vis-à-vis des ‘images’ et le discours stéréotypé, produit et majoritairement véhiculé, amène à s’interroger sur les rôles de la censure et de l’autocensure.

La position iconoclaste de l’islam vis-à-vis des représentations des êtres vivants sous forme d’image, de statue, de dessin, d’icône, voire de caricature est très souvent montrée comme une évidence et même une particularité de l’islam. Les bases d’une telle conception affichant le refus de tout ce qui touche à l’image sont ici à réexaminer, à analyser et à replacer dans l’atmosphère générale qui les porte.

Revenir aux écrits coraniques à propos de la représentation imagée nous permettra d’abord de resituer ces discours, puis d’en nuancer la position en replaçant la pensée musulmane dans un contexte plus global intégrant notamment les références utilisées dans les civilisations antiques et dans les autres religions « du Livre » dont les écrits sont incontournables et ont influencé la pensée arabo-musulmane. Nous en profiterons pour interpeller la production des stéréotypes et montrer la position plurielle du monde musulman vis-à-vis de l’image, « soura » en arabe, vocable qui a donné celui de « sourate ».

Le manuel scolaire français de cinquième qui traite l’histoire de la religion musulmane nous servira ensuite également d’appui pour analyser finement les rapports à l’image et à lacensure qui s’avère souvent être de l’autocensure. Cette position majoritaire vis-à-vis de l’interdiction des représentations figuratives (et donc des caricatures) rejette forcément l’islam dans un champ d’un sacré prédéfini et empreint d’exotisme qui musèle la pensée, donne aux stéréotypes plus de poids et dénie finalement à quiconque le droit à la libre expression dont celle des caricatures est la plus caractéristique.

Liberté d’expression, les limites du moi, les contours de l’image (Martine Mauvieux, Conservatrice pour les collections de dessins de presse à la BnF)

Exprimer librement ses pensées et ses opinions dans la presse, l’édition et toutes les formes d’art est une revendication récurrente en France depuis la Révolution française. C’est un droit désormais acquis pour tous mais aussi c’est un combat sans répit quand se profile à l’horizon l’ombre de la censure. Combinant un graphisme spontané, tous les registres de l’humour et la critique politico-sociale, le dessin de presse est particulièrement exposé quand reviennent les périodes d’intolérance et de peurs identitaires, on l’a vu avec ce bien triste 7 janvier. On s’interrogera sur les moyens (traits, compositions, légendes) qu’utilisent quelques dessinateurs pour exprimer leur idée de liberté, liberté de faire rire de soi ou liberté de faire rire des autres.