La Franc-Maçonnerie à la Belle Epoque


Quand la carte postale satirique s’en prenait aux francs-maçons

Francis Cévènes, La Franc-Maçonnerie à la Belle Epoque par la carte postale .
Préface de Ludovic Marcos, Conservateur du Musée de la Franc-Maçonnerie.
Editions A l’ORIENT, Orléans, 191p. 39€ TTC

Le thème de l’antimaçonnisme dans l’image satirique apparaît à la fin du XIXe siècle, mais c’est véritablement avec l’arrivée au pouvoir de radicaux notoirement francs-maçons que la caricature se déchaîne contre l’organisation « secrète ». C’est donc après 1900 que fleurit dans la presse (Le Charivari et Le Panache, par exemple) et dans la caricature postale, une rhétorique droitière qui souvent amalgame haine de la République, du franc-maçon et du juif. Certains journaux en font leur axe de prédilection, comme l’hebdomadaire La Bastille par exemple, qui se présente comme un « journal antimaçonnique ». Des séries entières de cartes postales, certaines émanant des bureaux des Assomptionnistes, visent exclusivement l’organisation.

C’est ce que rappelle ce recueil de cartes postales favorables aux loges ou hostiles à la maçonnerie, présentées par le collectionneur Francis Cévènes qui choisit d’organiser son ouvrage selon des thèmes emblématiques. On s’intéressera surtout à l’anti-maçonnisme des dessinateurs cléricaux (1) qui s’exprime lors des élections ou pendant les grandes « crises » de l’époque : affaire des fiches, séparation de l’Eglise et de l’Etat notamment.
La caricature antimaçonnique vise avant tout le personnel politique bien identifié du temps, francs-maçons notoires : Waldeck-Rousseau, Emile Combes, le général André, Brisson, etc. Les dessinateurs font d’abord œuvre de dévoilement, puisqu’il s’agit de montrer au monde la vraie nature de ces édiles : ainsi les affuble-t-on systématiquement d’insignes maçonniques : les trois points réglementaires, le triangle, les outils que l’on retrouve notamment sur le tablier traditionnel arboré généralement sur des ventres bedonnants. L’aveuglement anti-maçonnique pousse même le caricaturiste à faire de Jaurès un initié, ce qu’il n’était pas ! Manière d’insinuer que tout radical, voire tout républicain de gauche, subissait l’influence des loges.
La droite vomit le radicalisme au pouvoir coupable de défendre la Gueuse, et à travers elle, le peuple souvent trop bouillonnant. Sous le pinceau hostile des dessinateurs réactionnaires, Marianne se fait grosse et laide, mégère, bouffeuse de curé et franc-maçonne. Cette droite de combat, encore récemment monarchiste et antirépublicaine, trouve tout naturellement dans la franc-maçonnerie et les juifs, l’origine du complot qui se trame à la tête de l’Etat contre l’ordre et la morale, et qui sape les fondements même de la religion en réduisant son influence. C’est que, après Jules Ferry et les lois de laïcisation dans les années 1880, les opportunistes au pouvoir avaient choisi de temporiser face à l’Eglise catholique. Mais avec l’affaire Dreyfus, la crise entre les cléricaux et la République a pris un nouveau visage, voyant triompher l’anticléricalisme. Avec l’application rigoureuse de la loi sur les Associations de 1901, Emile Combes déclare la guerre au Vatican qui, avec le pape Pie X, relève le gant en se montrant combatif, accroissant les tensions entre partisans et adversaires de l’omniprésence religieuse.

Le dessin satirique traduit ces conflits. Il s’empare de symboles. Comme le corbeau représente l’Eglise catholique chez les anticléricaux, pour les dessinateurs anti-maçons, la casserole devient l’emblème le plus dévalorisant des initiés. L’ustensile évoque aussi bien les scandales qui poursuivent tel ou tel, que la « cuisine électorale » des radicaux, jamais très ragoûtante. C’est évidemment à l’époque de l’affaire des fiches en 1904 que la casserole, au même titre que les trois points ou le triangle traditionnels, devient le symbole même du maçonnisme honni.
Dans cette Belle Epoque marquée par de fortes tensions politiques, la caricature sert de porte voix aux mouvements d’opinion de la société. Avec la carte postale, le dessin satirique trouve un nouveau moyen d’expression populaire, facile à fabriquer et de diffusion rapide. Cléricaux et anticléricaux se combattent au travers d’une imagerie satirique propre à alimenter les imaginaires collectifs et à consolider les peurs ou les fantasmes. Pendant les « années folles », l’antimaçonnisme continuera de s’exprimer avec vigueur, comme par exemple dans Le Pèlerin : le maçon juif hérite d’une nouvelle tare : le communisme!
A l’époque de Vichy, de sévères mesures sont prises contre les francs-maçons. La presse se déchaîne associant une fois de plus judéité, franc-maçonnerie et communisme. La carte postale se fait propagandiste. Elle désigne de nouveau les ennemis de ce qui se nomme cette fois la « révolution nationale » comme on peut le voir dans ce livre brillamment et abondamment illustré.
L’ouvrage de Francis Cévènes (professeur d’histoire et… franc-maçon ?), préfacé par le conservateur du Musée de la franc-maçonnerie, éclaire le « profane » sur ces images au contenu souvent énigmatique puisqu’elles émanent ou visent une organisation dont les rites sont souvent méconnus. Les 270 cartes postales présentées permettent de mieux comprendre les rhétoriques des querelles qui ont marqué et traversé l’histoire politique de la France du XXe siècle.

(1) On trouve dans L’Assiette au Beurre notamment un antimaçonnisme d’extrême gauche avec par exemple le dessinateur Grandjouan qui renvoie dos à dos l’Eglise catholique et l’Eglise franc-maçonne.
GD.

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