L’Europe dans tous ses états


L’Europe dans tous ses états – 20 ans d’actualité européenne dans les dessins de presse de Bernard Ferreira, éditions Serpenoise, Metz 2009.
Catalogue qui accompagne la superbe exposition présentée à la Maison de Robert Schuman.

Ci-dessous le texte introductif à ce catalogue que nous avons rédigé avec M. Potocki (JCG):

Que dire pour commencer, sinon remercier la Maison de Robert Schuman pour l’hommage qu’elle rend aujourd’hui à un artiste dont le talent mérite une reconnaissance unanime.
On dit souvent qu’un bon dessin vaut mieux qu’un long discours. L’œuvre de Bernard Ferreira présentée ici en fournit indubitablement la preuve. En contemplant la cinquantaine d’œuvres exposées, le visiteur retrouvera immédiatement le chemin d’un passé récent dont il avait déjà parfois oublié les multiples péripéties.

La force des caricatures de Bernard Ferreira réside dans leur grande simplicité. Dans chaque dessin, le message est énoncé de façon percutante, avec une économie de moyens qu’il faut saluer. Contrairement à certains de ses confrères, Bernard Ferreira ne cherche jamais à trop en dire, se concentrant sur une idée, qu’il parvient toujours à faire ressortir avec brio. C’est dans cette capacité à soustraire, réduire ou amplifier que se manifeste le talent des grands caricaturistes, c’est lorsque le message s’impose instantanément au spectateur que la caricature est sans doute le plus à même de le toucher. De ce fait, la partie textuelle peut se limiter, comme chez Bernard Ferreira, à quelques bulles ou quelques inscriptions, parfois nécessaires pour certains référents graphiques peu faciles à représenter, à symboliser.

L’originalité de Bernard Ferreira ne se révèle pas tant dans le recours à des symboles ou mythes particuliers : abstraction faite de l’allégorie représentant l’Europe, jeune femme portant une sorte de couronne dentelée (les dents symbolisent-elles ici les différents états européens, ou, semblables aux créneaux d’un donjon de château fort, veulent-elles signifier que l’Europe se doit d’être une forteresse qu’il faut sans cesse défendre ?), tous les symboles ou personnages allégoriques ne surprennent nullement l’amateur de satire graphique : la représentation des différents pays, de leurs caractéristiques est amusante, plaisante, mais somme toute traditionnelle, l’Allemand est un Bavarois, posant devant la porte de Brandebourg ( !), le Français, Monsieur Dupont, se déplace baguette sous le bras et verre de vin à la main devant la Tour Eiffel, l’Italien gesticule devant la Tour de Pise… La paix est symbolisée par la colombe, les musulmans par un croissant, le SME par un serpent… Dans l’arsenal graphique de Bernard Ferreira, on retrouve des références littéraires (« to be or not to be »), mythologiques (Europe et le taureau, le Sphinx), bref que des références connues du grand public, auxquelles les artistes des siècles passés recouraient plus fréquemment que leurs homologues contemporains, même si bon nombre des grands caricaturistes allemands des dernières décennies comme E. Maria Lang perpétuent cette tradition dans un large pan de leur œuvre.

Il nous semble du reste que dans leur facture, les satires graphiques de Bernard Ferreira se rapprochent beaucoup de la caricature politique allemande actuelle, pratiquée notamment dans le Sud de l’Allemagne où Bernard Ferreira a séjourné. Dans ses dessins en noir et blanc, le dessinateur joue sur les contrastes entre ces deux couleurs, utilisant relativement peu de hachures pour préciser les formes, se contentant le plus souvent de marquer les contours afin de se concentrer sur l’essentiel. Son style n’est pas sans rappeler celui d’un Horst Haitzinger, d’un Rainer Hachfeld ou d’un critique social tel que Markus. Le sémiologue appréciera le jeu fin, discret et varié qu’il réalise avec les contours, la bordure de ses dessins, présente ou non, parfois entrecoupée, ce qui renforce incontestablement la vigueur de l’œuvre.

La caricature politique de Bernard Ferreira ne recherche pas le rire franc que peuvent provoquer des scènes cocasses, grotesques ou des jeux de mots permanents. Néanmoins, pour persuader le lecteur et le faire sourire, Bernard Ferreira a recours à diverses trouvailles graphiques qui le placent dans la lignée des plus grands : si la bicyclette dotée de deux roues de taille différentes symbolisant des adversaires d’importance inégale n’est pas un motif vraiment nouveau, s’il en est de même des ombres portées représentant les guides spirituels des personnages politiques tournés en dérision, le lecteur prendra par exemple grand plaisir à lire la réponse qu’adresse Sadate (en Sphinx) à dame Europe sous forme de hiéroglyphes signifiant que la colombe de la paix est la résultante du croisant de lune, de l’étoile israélienne et du drapeau européen. Le lecteur appréciera également la référence originale à l’image de Kohl et Mitterrand se donnant la main à Verdun en 1984 : ce moment historique, si souvent traité par les dessinateurs des deux pays, est ici symbolisé sous une forme particulièrement saisissante, qui élargit la portée du geste. On pourrait aussi mentionner dans ce contexte la représentation de l’Europe en épouvantail, la symbolisation des craintes françaises et européennes face à la réunification allemande par un aigle menaçant qui fait ressortir le « ich » (moi) de Maastricht…

Bref, le lecteur l’aura compris, il s’agit là incontestablement d’une œuvre à (re)découvrir. Pour les auteurs de ces quelques lignes, l’œuvre de Bernard Ferreira représente une découverte majeure qu’ils souhaiteraient approfondir. Il reste à espérer que d’autres manifestations rendent hommage à cet artiste.