Un ouvrage de Nicolas Vial


Un ouvrage de Nicolas Vial

Nicolas Vial, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, Plon, Paris, 1983, non pag. ; 9,90 €

 

Certes, Nicolas Vial est un fidèle compagnon depuis des années : on le rencontre régulièrement dans les colonnes du « Monde », notamment du « Monde des livres », dans le « Magazine littéraire » et ailleurs. Mais il semble que c’est depuis sa très belle rétrospective au Musée de la Poste, en 2011/12, qu’on le voit s’exposer plus souvent, avec ses dessins originaux et, pour notre bonheur, sa peinture également.

Vial est dessinateur de presse, mais il n’est pas caricaturiste politique. Les commentaires directs de l’actualité politique sont plutôt rares chez lui, mais tout son œuvre est nourri d’analyse politique, de critique sociale, souvent en liaison avec les textes que ses dessins accompagnent. Mais est-il juste d’utiliser le mot « accompagner », et convient-il de parler d’ « illustration » dans son cas, comme on a l’habitude de le faire ?

Sans doute, à condition de préciser ce que l’on entend par-là. Le dernier ouvrage né de sa plume est l’occasion d’en parler : « La déclaration des droits de l’homme et du citoyen illustrée par Nicolas Vial ».

On y trouve le texte de la Déclaration de 1789, écrite à la main par Nicolas Vial ; chaque article est présenté avec un dessin en vue et suivi de plusieurs dessins, généralement en double page – plus exactement au nombre de un à quatre – qui tournent autour du sujet évoqué dans le texte. Il arrive que les dessins placés à côté du texte soient relativement vite déchiffrables en tant que commentaire, plutôt ironique, du texte de la « Déclaration ». Mais la plupart du temps, ils fonctionnent, eux aussi, de la même manière que les dessins en double page, non pas en tant que simple illustration, mais comme prolongement du texte qui ne s’en trouve nullement expliqué, mais interrogé, questionné, remis en question, voire soumis à la question – car le dessin de Vial est plus douloureux que joyeux. Il tourne autour d’une question, multiplie les perspectives, sans asséner de certitudes, de message univoque. Vial préfère l’énigme à l’affirmation péremptoire: plutôt inquiéter que tranquilliser ; non, le « quíétisme » n’est pas son affaire.

« Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » – mais où seraient-ils donc, ces citoyens ? On peut compter les visages dessinés par Vial sur les doigts d’une main, et ses « personnages » ont en général le crâne ouvert ou la tête enserrée dans un appareil qui empêche toute réflexion (comme par exemple son « Penseur » d’après Rodin). Le type de représentation des humains le plus courant consiste en de minuscules silhouettes noires, en train de courir, de fuir, de se sauver (mais où ?), de tomber ou d’être écrasés. Mais qui les écrase donc ? Difficile à dire. « Big Brother » n’est pas plus un individu que ses victimes. Est-ce la main invisible du marché qui broie tous ces lilliputiens ? Gardons-nous plutôt de définir, donc de limiter la signification de ce qui est polysémique à volonté et à dess(e)in chez Vial.

En fait, on ne peut pas « illustrer » cette Déclaration, lorsqu’on regarde le monde comme le fait Vial. Ou, à la limite, c’est un type d’illustration qui conviendrait à Kafka qui, lui, insiste par exemple au début du « Château » sur le fait que celui-ci est invisible. Il le restera jusqu’à la fin du roman. Idem pour la Déclaration de 1789. Le citoyen ne saurait être représenté, car il est (encore ?) invisible. Si Vial est illustrateur, il illustre un manque, une absence. Le citoyen est un postulat, une revendication, une exigence et son avènement une tâche qu’il nous reste à accomplir.

W.F.