Deux siècles de caricature grecque
par Ioanna Assaryotakis-Kordas
« Chose curieuse et vraiment digne d’attention que l’introduction de cet élément insaisissable du beau jusque dans les œuvres destinées à représenter à l’homme sa propre laideur morale et physique! Et, chose non moins mystérieuse, ce spectacle lamentable excite en lui une hilarité immortelle et incorrigible… ».
Charles Baudelaire[1]
Fig. 1: Vignette de Pétros Zervos.
N’ayant traité que de façon accessoire (dans l’optique de la communication ou de la traduction, le dessin humoristique grec[2]), je ne peux m’empêcher d’éprouver un vertige (moins euphorisant que celui dont parle Baudelaire à propos du comique absolu de la caricature) devant l’étendue du sujet, aggravée par l’absence de bibliographie, exception faite du livre-monument du journaliste Dimitris Sapranidis[3], qui y a consacré 25 ans de sa vie.
A part ce travail de longue haleine, les initiatives prises par deux institutions m’ont servi de boussole dans la tâche difficile de classification des dessinateurs passés et actuels : La série des timbres publiée par la Poste Hellénique (EΛTA) consacrée aux 25 siècles (500 av. J.C.- 2000 après J.C.) de caricature grecque. Cette série comporte six timbres-caricatures : le premier est consacré à un dessin de l’Antiquité (cf. fig. 2) alors que les suivants représentent des œuvres, ordonnées par ordre chronologique de Thémos Anninos (1870-1910 – les dates entre parenthèses signalant la période active de chaque dessinateur), Dimitris Galanis (1900-1930), Fokos Dimitriadis (1919-1967), Archélaos Antonaros (1950-1990) et enfin Mitropoulos, le seul en vie et qui compte 50 ans de carrière.
D. Sapranidis commence son étude avec les représentations satiriques dans les grottes ou sur les vases de l’Αntiquité (φλυακογραφίες) pour passer à karagheuz (théâtre d’ombres grec, originaire de Constantinople, portant le nom du personnage central) avant de traiter du dessin satirique proprement dit.
Fig.2, Antiquité.
Timbre de la série commémorative publiée par la Poste Hellénique.
Notre projet, bien plus modeste, sera une brève transcription de la caricature grecque à travers la presse, en tant que forme d’art imprimée. En effet, le dessin satirique, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est intimement lié à l’histoire de l’imprimerie. Ainsi, après la Révolution grecque contre le joug ottoman, en 1821, et avec l’avènement de l’imprimerie, nous avons l’apparition timide des premiers dessins satiriques.
L’absence de graveurs professionnels pendant les premières décennies eut comme résultat que plusieurs dessins, surtout les lithographies, furent envoyés à l’étranger (pour éviter la xylographie, seule possible, au niveau local). Parmi les premiers pionniers, Athanasios Iatridis qui avait étudié l’art de la gravure à Paris et Nikos Buller avec ses revues satiriques Traka Trouka et Dimokritos dans lesquelles il publiait ses dessins xylographiques. Au milieu du 19e siècle, Stefanos Xenos, venant d’Angleterre, publia Vrétanikos Astéras ainsi qu’un double album Kivdilia. Le troisième et dernier imprimeur-dessinateur est Panagiotis Pigadiotis, connu pour son Aristophanis (1874-1882) et Néos Aristofanis (paraissant jusqu’ en 1895).
Pour ce qui est des modernes, nous avons opéré un choix[4] de neuf représentants parmi les vingt-neuf figurant dans le catalogue de l’exposition sur la caricature politique réalisée en 2005 par l’institution du Parlement grec. Enfin, pour le contexte historique de chaque période, nous avons trouvé utile le dossier du journal Kathimérini consacré à la caricature[5].
Thémos Anninos (1843-1916) est le père des caricaturistes grecs, unanimement reconnu. Il a publié la revue satirique Asmodaios [6] (1875-1885) qui, à partir de 1885 paraît sous le nom Satirikon Asty pour devenir, après 1890, Asty. Originaire de Céphalonie, il étudie le droit et le dessin satirique à Paris (influences de Forain, Caran d’Ache, Willette et de l’Anglais Rowlandson). Patriarche du dessin satirique à caractère politique, il transforme un genre populaire (à l’humour grossier) en genre académique. Son trait est sobre et noble. Ses caricatures étaient si pertinentes qu’on avait coutume de dire que certains messieurs, s’étant couchés graves le samedi soir, se retrouvaient hilares le dimanche. Sa facture, d’essence grecque, met en scène la transformation de la capitale en grande ville et le déguisement de l’Athénien en Européen, au tournant du siècle.
Malgré sa sympathie affichée pour le réformateur Trikoupis (six fois Premier Ministre, de 1875 à 1895), il n’abandonna jamais sa causticité. Sous l’humour pointaient indignation et amertume, ce qui explique son succès à l’étranger (Figaro). Malgré le fait que Pigadiotis avec son Néos Aristofanis entre en compétition avec lui, grâce à des affiches en couleur impressionantes venant de l’imprimerie d’Augusto Rossi à Bologne, l’originalité d’Anninos reste unique.
Fig.3, Thémos Anninos.
Timbre de la série commémorative publiée par la Poste Hellénique.
En 1885, l’art de la gravure entre à l’Ecole Polytechnique et remplace la xylographie et la chalcographie. En 1890, avec l’apparition de la gravure sur zinc on entre dans la période de la reproduction de l’image, technique utilisée jusqu’ à la dictature.
La fin du 19e siècle et le début du 20e apportent une série de mutations politiques, sociales et technologiques qui, combinées à la baisse de l’analphabétisme, conduisent à l’augmentation du lectorat, du tirage et de la qualité des imprimés. Désormais, on trouve des caricatures partout, dans les journaux, les calendriers, les magazines pour toute la famille, les magazines pour enfants, la presse masculine etc. Toute cette variété annonce le début de la spécialisation, ce qui n’empêche pas les qualités doubles de certains caricaturistes comme le peintre-dessinateur Galanis.
Dimitris Galanis (1882-1966).
Il dessine dès l’âge de 15 ans pour le journal Acropolis. Lauréat d’un concours organisé par Le Journal, il part comme boursier pour l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Etudiant encore, il collabore avec les magazines Le Rire, Le Frou-Frou, Le Journal du Dimanche, Le Sourire, Le Matin etc. De 1907 à 1909 il vit en Allemagne et travaille pour Lustige Blätter et Simplicissimus jusqu’en 1914, année où il s’engage dans la Légion Etrangère. En 1945, il devient membre de l’Académie des Beaux Arts de Paris où il enseigne jusqu’en 1952. Sans avoir la virulence d’un Anninos, il était, néanmoins, un excellent dessinateur au style abstrait, plus soucieux de la composition que de la représentation. Ses dessins sont publiés dans L’Assiette au Beurre (13 dessins alors que les maîtres du genre, à part quelques exceptions, n’en font publier que trois ou quatre : Adolphe Willette, Caran d’Ache, Juan Gris etc). En 1909, à Montmartre, il fait la connaissance de Picasso et de Matisse et participe au Salon des Humoristes.
Fig.4, Dimitris Galanis.
Timbre de la série commémorative publiée par la Poste Hellénique.
Commentaire : l’amant attentionné a la mission privilégiée d’attacher les lacets sophistiqués des bottines, occasion pour lui de voir les chevilles des dames (esprit provoquant de l’époque).
Après Anninos, les dessinateurs ne se limitent pas à la politique mais touchent aux domaines de l’art, de la science et de la vie sociale. Et pendant que tout cela se passe dans la ville d’Athènes de 200.000 habitants, dans les centres cosmopolites d’Alexandrie et de Constantinople, les Grecs, grâce à une presse intéressante qui voit le jour dans ces lieux, viennent en contact avec d’autres cultures et deviennent plus proches de l’esprit européen. Durant l’entre-deux guerres nous avons une très grande concentration de talents dans le domaine du dessin humoristique en Grèce, arrivés à la suite de la catastrophe en Asie Mineure, en 1922. Presque tous ces dessinateurs faisaient partie de l’Association des Caricaturistes. C’est l’âge d’or de la bande dessinée et du dessin humoristique, qui va jusqu’à la dictature de Metaxas qui proscrit la caricature.
Avec la Deuxième Guerre mondiale, cette dernière, retrouvant sa liberté perdue, se bat contre l’ennemi fasciste commun. Une grande figure apparaît avec ses albums sur l’occupationn, dont Shadow over Athens, publié aux Etats-Unis en 1946, qui font le tour du monde : Fokion Dimitriadis.
Fokion Dimitriadis (Fokos)
Il naît à Constantinople, en 1894, où il publie ses premiers dessins. Il arrive en Grèce en 1915 et à partir de 1922, il se consacre entièrement au dessin humoristique. Il collabore à To Vima, Ta Nea, To Elefthero Vima. Il a créé des symboles vulgaires emblématiques dont deux personnages animaliers, le « pardalo katsiki » (le bicot tacheté), qui évoque K. Tsaldaris, chef du Parti Populaire, à la suite d’une gaffe commise par Dragoumis : Ce dernier, chef de la représentation hellénique au sommet de Paris, à son retour de l’étranger, annonce qu’il apporte la nouvelle d’un événement faste pour la nation. L’expectative est grande : Qu’est-ce que cela peut bien être? Est-ce que cela concernerait l’Epire du Nord? Chypre? Une redéfinition des frontières? Devant l’attente générale, Dragoumis monte sur la tribune et annonce qu’il apporte l’original du texte de la Constitution de 1911, découvert chez un antiquaire parisien! Les membres du Parlement éclatent de rire, ils rient jusqu’aux larmes. C’est bien ce rire catholique qui est à l’origine de l’expression et de l’image. Mais lisons plutôt l’explication qui en est donnée par Fokos lui-même dans la préface de son album[7] : «quand notre peuple veut souligner quelque chose d’extrêmement ridicule il dit : même le bicot tacheté a ri » ( : devenir l’objet de la risée publique). Ainsi le bicot (expression imagée prise à la lettre), omni-présent, observe les faits de l’actualité et s’esclaffe. La deuxième invention de Dimitriadis est « koko » (la poulette), qui évoque K. Tsatsos, Ministre des Affaires Etrangères, suite à son interdiction de la pièce d’Aristophane, Les Oiseaux (Oι Oρνιθες), censée porter outrage aux bonnes mœurs (en langue dialectale « όρνιθες » signifie « poules », d’où le nom). Grâce à ses armes expressives, Dimitriadis déformait avec tant de justesse certaines particularités de ses modèles que son dessin se passait aisément d’explications alourdissantes; il enregistrait les événements avec un sens de la critique si aigu qu’il suffisait de voir sa caricature à la une pour saisir le pouls de l’actualité politique du jour.
En 1961, à Los Angeles, Dimitriadis reçoit le prix du concours international du dessin satirique. En 1969, il est honoré par l’Académie d’ Athènes. Officier des Arts et des Lettres, il a participé à deux expositions internationales en 1976 et 1977 à Athènes. Il est mort la même année, à 83 ans. 900 dessins sont parus entre 1945 et 1959, 50 ans de métier : le traitement électronique de ce travail colossal, entrepris par l’Ecole Polytechnique de Patras, en CD ROM, et arrêté à la période de 1934, devrait continuer.
Fig.5, Fokion Dimitriadis, Shadow over Athens.
Dessin tiré du livre de D. Sapranidis.
Fig.6 : Fokion Dimitriadis : « Chez nous c’est du crachin et chez eux il pleut des cordes! ».
Dessin tiré du livre de D. Sapranidis.
Commentaire (Fig. 6) : En 1955, le gouvernement des Etats Unis envoie à la Turquie une aide de 72 millions de dollars alors que la Grèce, bien que dévastée par les tremblements de terre des îles ionniennes et de Thessalie, en reçoit 16. Quelque temps après, miracle!, dix millions supplémentaires sont envoyés. L’explication est apportée par l’Amiral A. Spanidis, qui, dans une lettre envoyée au journal To Vima, datée du 22 mars 1956, raconte que c’est le directeur du Ministère des Finances des Etats-Unis, entre les mains duquel est tombée par hasard la caricature en question, qui a décidé d’augmenter la somme envoyée à la Grèce. Voilà comment le dessin satirique change l’histoire!
Fig 7, Fokion Dimitriadis. Titof : « Vous cherchez l’Arche? Moi, je viens de rencontrer Noé en personne! »
Timbre de la série commémorative publiée par la Poste Hellénique.
Commentaire : suprématie des Soviétiques par rapport aux Américains (ces derniers ayant entrepris, à l’époque, des recherches sur le mont Ararat pour découvrir l’Arche de Noé) en matière de navigation spatiale.
Nous sommes en 1949, c’est la fin de la guerre civile : l’armée gouvernementale remporte une victoire décisive contre les forces communistes (qui, pendant l’occupation contrôlaient 2/3 du territoire national), mais pour la caricature, c’est la gauche qui gagne. C’est le délire populaire avec les magazines pour toute la famille qu’on s’arrache : O Thissavros, To Romantzo et d’autres encore avec en tête Gallias, Archélaos. Caricature sociale, âge d’or des magazines : les ventes dépassant les 200.000 numéros. Si on multiplie le chiffre par trois, vu que les magazines faisaient le tour des maisons, toute la Grèce riait; on dénombre alors plus de 100.000 caricatures.
Archélaos Antonaros (Archélaos)
Né en 1921 à Thessalonique, il dessine de façon professionnelle à partir de 1945. Il prend pour cible les travers ridicules bourgeois qu’il représente à travers des personnages-types schématisés et hyperboliques, grands classiques de notre enfance : l’ivrogne, l’amant, la méchante belle mère, l’épouse-mégère et son antipode, la femme super sexy, irrésistible, venant droit d’ Hollywood.
Fig.8, Archélaos Antonaros. « Vous ne viendrez pas y mettre un peu la main, monsieur ? ».
Timbre de la série commémorative publiée par la Poste Hellénique.
Nous sommes dans les années 50. Fokion Dimitriadis, à son apogée, côtoie la nouvelle génération inscrite dans sa lignée : nous avons nommé le monstre sacré de la caricature :
Kostas Mitropoulos
C’est le seul dessinateur en vie célébré par la série commémorative de timbres publiée par la Poste, un colosse de la caricature, qui respire le sarcasme, qui voit le monde à travers un regard d’enfant.
En 1957, il commence une longue collaboration avec le magazine Τachydromos. Le fruit de ce travail d’avant-garde fera l’objet de son premier album en 1959. Ses caricatures politiques font leur apparition dans To Vima en 1960. Suivent Ta Néa en 1967, puis, en 1990 Les gosses féroces, Les gosses encore plus féroces (Aγρια Μωρά, Αγριότερα μωρά, qui font encore les délices des lecteurs de Ta Néa), plus de 20 albums parus aux éditions «Gutenberg», dont deux traduits en italien et en allemand. Prix de l’Académie d’Athènes, il est exposé à la Pinacothèque d’Athènes, au Musée de la Caricature de Bâle, de Montréal et de l’Université de Princeton.
Sa thématique : la société de l’abondance, une société traquée qui s’auto-détruit : la ville inhumaine, la voiture, le bulldozer, l’innocence perdue de la nature et la nostalgie d’une autre vie…Mitropoulos est l’homme qui, « …séchant les larmes du crocodile, rit, malgré lui, dans le ventre du crocodile », annonçant l’avenir obscur des villes avec un humour noir qui « …présuppose une connivence dans le meurtre », écrit D. Sapranidis[8].
Fig.9, Kostas Mitropoulos, dessin tiré du livre de D. Sapranidis. « Roof Acropolis ».
Fig.10, Kostas mitropoulos : « La fin ».
Timbre de la série commémorative publiée par la Poste Hellénique.
Jannis Kyriakopoulos (KYR)
Contemporain de Mitropoulos, il étudie les Beaux-Arts à Rome. Marqué par l’école française, il fait plus parler la légende que le dessin. Ses personnages, la ménagère, le plouc, le paysan, le bourgeois, l’intellectuel se parlent comme communiquaient les figurines de karagheuz.
Fig.11, Yannis Kyriakopoulos (KYR) : « Peuple réveille-toi ».
« Je ne peux pas. On m’a volé mes rêves… » Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Pendant la dictature, ses dessins inspirés de l’Odyssée et qui parodient la junte (chef d’œuvre du genre), sont censurés. Après la dictature, il travaille à Elefthérotypia jusqu’ à aujourd’hui. Il a publié 22 albums.
Ilias Skoulas
Né en 1927 en Crète, La Canée. Il a apporté son concours à Apogevmatini, Mesimvrini, Ethnos; 4 expositions, 13 albums.
Fig.12, Ilias Skoulas : « 20 ministres s’en vont ». « Je ne risque rien, je suis le numéro 52!… ».
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Yannis Logothétis (Logò)
Né à l’île de Thassos, il travaille comme caricaturiste depuis l’âge de 17 ans. Il a collaboré avec Ta Néa, To Vima, To Ethnos, O Tachydromos, Ikones …, a publié 21 albums, a réalisé des expositions au Canada, en Allemagne, Italie, Bulgarie, Grèce. Depuis 1971 il écrit des vers et a collaboré avec de grands compositeurs de musique ( Dimos Moutsis, Loukianos Kilaidonis, Giorgos Hatzinassios, Stavros Kougioumtzis, et bien d’autres).
Fig.13, Yannis Logothétis : « Papa, qu’est-ce que ça veut dire l’exploitation de l’homme par l’homme? ». « Tais- toi et mange! ».
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Vassilis Mitropoulos (BAS)
Fig.14, Vassilis Mitropoulos (BAS) : Sans paroles.
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Né en 1936 à Athènes, il a publié ses premiers dessins en 1963 dans Elefthéria, puis dans Acropolis, Tachydromos, Elefthéros Typos, Adesmeftos Typos. Depuis 1973 il collabore avec des journaux européens et américains. Il a obtenu le prix du meilleur dessin en Grèce, en Turquie, Serbie, Angleterre, Corée, Chine et a réalisé 7 albums
Pendant la période tragi-comique de la junte, les caricaturistes cherchaient des astuces (comme Kyr avec son Odyssée) pour échapper à la censure. En 1974, avec la chute de la dictature, émerge une nouvelle génération qui grince des dents contre le statu quo avec Ioannou.
Yannis Ioannou
Une ironie amère, cuisante, obstinée et élégante caractérise son oeuvre. Né en 1944 à Thessalonique, il obtient son Diplôme d’architecte en 1968. Il fait des études à Paris et travaille dans un bureau d’architecte jusqu’ en 1975. La même année, il publie ses dessins dans la revue de gauche Anti. Il dessine pour To Vima puis pour Pontiki (: La souris, Le Canard enchaîné de la Grèce, né sous son influence, en 1979). Il donne un nouvel essor à la bande dessinée à caractère politique par son album O Tritos Dromos (La Troisième Voie), 1982. Il a collaboré à Proti, Kyriakatiki Elefthérotypia, Tachydromos et depuis 1990 à To Ethnos. Plusieurs albums et expositions internationales.
Fig.15, Yannis Ioannou : « Pour apprendre à respecter les institutions, mon fils…tu ne dois pas les voir ».
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Kaménos Diogénis
Il appartient à la génération 70, comme Ioannou. Il est né en 1948 à Limassol, Chypre. Depuis 1974 (chute de la dictature), il travaille à Elefthérotypia. Il a parodié par ses dessins Georgios Papadopoulos (l’un des Colonels), Constantin Karamanlis, Constantin Simitis, Andréas Papandreou… (Premiers Ministres à partir de 1974).
Fig.16, Kaménos Diogénis: « Jusqu’à quand, frères, vivrons-nous enfermés… ».
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Commentaire : Adaptation parodique de l’hymne patriotique de Rigas Feraios, dit Vélestinlis, apôtre de la révolution, héros de la guerre d’indépendance contre les Turcs en 1821 La particule du futur « ΘΑ» dont sont tapissés bonnet et uniforme du prisonnier évoque l’impasse politique dans laquelle est conduit le Grec, désillusionné désormais, ne croyant plus aux promesses mensongères dont sont truffés les discours politiques pré-électoraux. Depuis les années 50-60, d’après la tradition populaire, il suffisait de prononcer cette particule trois fois de suite pour exprimer un mépris, teinté d’ironie, envers l’imposture des politiques. Le Grec de la caricature est peut-être emprisonné mais il n’est pas dupe. Pour preuve, un film comique de cette période, un classique du genre, qui met en scène un ministre (au nom aussi symbolique que cocasse, Mavroyalouros) qui quitte ses fonctions quand il se trouve confronté, par un concours de circonstances, aux difficultés mêmes qu’affrontent ses électeurs bernés.
Génération 80
Stathis Stavropoulos (Stathis)
Son style a une dimension tragi-comique. Né en 1955 dans le Peloponnèse, il étudie les Sciences Politiques et la mise en scène et publie ses premiers dessins en 1981 dans le journal communiste Risospastis. De 1991 à 2001 il collabore à Ta Néa et ensuite à Elefthérotypia. Il a effectué l’illustration d’un grand nombre de livres et a collaboré avec plusieurs maisons d’édition. 20 albums (1 bande dessinée, 3 avec dessins sans paroles). Aux élections de 2004 il est inscrit sur la liste du parti communiste, appelé SYN (Synaspismos). Membre du parti communiste de 1974 à 1991.
Fig.17, Stathis Stavropoulos (Stathis): « Monsieur disposant de carburant pour se chauffer désire rencontrer dame disposant de carburant pour se déplacer ».
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
En 1981, c’est le grand changement politique avec les socialistes au pouvoir, ce qui entraîne un changement pour la caricature qui, par définition dans l’opposition, se retrouve, pour la première fois et après des dizaines d’années, face à un gouvernement qui n’est pas de droite. 1981 est aussi la date de parution de la revue « Vavel », qui ouvre une nouvelle voie dans le domaine.
Dimitris Chatzopoulos
Né en 1956 à Patras, il étudie la physique à Athènes et la bande dessinée au Canada. Il travaille à Ta Néa et vit en Crète, Rethymnon. 3 albums.
Fig.18 : Dimitris Chatzopoulos : « Mon grand-père était Georges Papandréou, mon père était Andréas (Papandréou), ma mère ètait Margarita (Papandréou), ma belle-mère était Dimitra (Papandréou), mon beau-frère était Katsanévas (mari de sa sœur) »
« ….écoute Mitso moi je vote pour lui, il me fend le cœur!! ».
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Commentaire : le personnage qui demande l’aumône est l’actuel premier ministre Georges Papandreou, fils d’Andréas Papandreou, ancien Ministre des Affaires Etrangères et considéré (longtemps avant la prise de ses fonctions, en octobre 2009), par la presse et l’opinion publique comme inapte à assumer la fonction du premier ministre.
Makris Ilias
Né en 1956 à Athènes. Il étudie la peinture et la sculpture en Allemagne. Depuis 1981 il collabore à To Vima, To Ethnos et divers magazines…Durant les dernières 17 années, il travaille à Kathimerini. Il a publié 4 albums.
Fig.19, Ilias Makris : « mouton grec », « mouton importé ».
Catalogue d’exposition du Parlement grec.
Commentaire : Chaque année, au moment des fêtes de Pâques où, par tradition, on fait griller un agneau à la broche, il y a des controverses sur le prix et l’origine des agneaux dont certains sont « baptisés » grecs, pour être vendus plus cher. Le dessin parodie cette situation.
La liste est longue des caricaturistes actuels omis dans le présent travail (qui n’est qu’ un bref aperçu du panorama de la caricature grecque), la plupart d’entre eux appartenant non pas à la dernière génération du 20ème siècle mais au début du 21ème; citons par ordre alphabétique[9]: Arkas, Anastassiou T., Bost, Chérouvim D., Christodoulou V., Dermentzoglou J., Floros P., Grigoriadis K., Iossifidis Z., Kalaitzis J., Koufogiorgos K., Kountouris M., Koutsantas A., Maragos P., Maroulakis N., Mountzouridis Th., Ornerakis S., Papageorgiou G., Papageorgiou V., Pavlidis V., Petroulakis A., Sarpis D., Toliadis Ch., Triantafyllopoulos M., Xenou E., Zervos P., Zikos N,…
Pour finir, citons l’auto-définition des caricaturistes grecs telle qu’elle apparaît dans le site officiel de leur Association[10]: « On dit qu’un bon caricaturiste doit combiner la précision du chirurgien et les instincts du boucher. Vous imaginez quel genre de personnes sont attirées par ce métier particulier. Nous avons la chance de vivre dans un pays où la situation politique peut procurer du travail non-stop pour une légion de caricaturistes. Et nous sommes vraiment nombreux, des vétérans pros qui ont connu la Première Guerre mondiale aux petits à peine nés à la fin de la Guerre Froide (l’exagération a toujours été un des outils du métier!) ».
[1] Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques I, chap.VI, De l’essence du rire, Garnier Frères, Paris, 1962, p.242.
[2] « Stratégie de la persuasion du message publicitaire », article paru dans la revue de l’Association des professeurs de français en Grèce, Contact, No 41, mars-avril-mai 2008, pp.56-61 /« Fonction poétique et connotations socio-culturelles en traduction : étude de cas », Actes du XVIII Congrès International de l’AELFE, Université de la Laguna, Ténérife, 3-5 Septembre 2009.
[3] Δημήτρης Σαπρανίδης, Ιστορία Ελληνικής Γελοιογραφίας, 2 τόμοι, Αθήνα, εκδόσεις Ποταμός, 2006.
[4] Choix défini par les critères popularité des artistes / variété des genres et où intervient, nécessairement, un facteur subjectif.
[5] Καθημερινή, Επτά Ημέρες, 19 Φεβρ.1995.
[6] Asmodée, d’après l’Ancien Testament est le Démon de la Luxure (les 6 autres étant : Lucifer / Orgueil, Mammon / Avarice, Satan / Colère, Belzébuth / Boulimie, Léviathan / Jalousie, Belphégor / Paresse). Anninos suit la tradition qui consiste à donner des noms de démons aux revues satiriques, provoquant l’obscurantisme religieux de l’époque et confirmant l’origine diabolique du rire.
[7] Δημητριάδης Φωκίων, Με το μάτι του γελοιογράφου (1950-1959), Αθήνα, Μοντέρνοι Καιροί, 2004, σελ.11.
[8] Sapranidis D.,op.cit., p.519.
[9] Liste tirée du dossier du quotidien Kathimérini, consacré à la caricature, op.cit.
[10]. http://www.cartoonists.gr