Conférence sur Gotlib et Geluck

Conférence de Benoît Quinquis docteur en philosophie, le 16 février à l’UFR Lettres et Sciences Humaines de l’UBO
Le choix des mots dans la Rubrique-à-brac et La Bible selon le Chat : comment Gotlib et Geluck brouillent les pistes du récit

Marcel Gottlieb, dit Gotlib (1934-2016) et Philippe Geluck (né en 1954) ont en commun d’être surtout connus du grand public en tant que dessinateurs tout en étant aussi, et peut-être même surtout, des écrivains de premier ordre : ces deux humoristes s’appuient sur leur connaissance des rouages de la langue française pour en détraquer la mécanique et démontrer par l’absurde que nos habitudes langagières, que nous croyons si solides, n’ont pas la stabilité qui nous autoriserait à nous reposer sur elles. Ce travail de sape à vocation drolatique se poursuit quand ces auteurs entreprennent d’écrire une histoire : ainsi, pour ne prendre que le cas d’une « Rubrique-à-brac » intitulée « Halte au saccage », Gotlib fait le récit d’un rendez-vous amoureux en choisissant des mots tout à fait inappropriés car destinés à présenter le moindre geste des protagonistes comme un acte de déprédation, l’effet comique naissant du décalage entre l’image et le texte censé la décrire. Geluck, quant à lui, parodie le récit de la Genèse biblique dans La bible selon le Chat et soumet ainsi à l’épreuve ultime nos réflexes langagiers : l’emploi de mots contemporains dans un récit racontant les origines du monde et de l’humanité s’avère inapproprié et révèle par l’absurde que la signification de ces mots, que nous croyons souvent acquise au point d’être évidente, repose en fait sur une convention qui n’a pu qu’être établie par l’usage qui en a été fait au fil des années et peut donc être remise en question du jour au lendemain. Dans les deux cas, le résultat final est le même : la position du narrateur est désacralisée, le contrat de confiance tacite censé garantir la réception du récit par le lecteur est rompu, les mots dénonçant l’incompétence du narrateur et manifestant, peut-être, l’angoisse de l’auteur face au chaos du monde.