Une histoire visuelle de l’URSS


David King, Sous le signe de l’étoile rouge : Une histoire
visuelle de l’Union soviétique de 1917 à la mort de Staline
,
Gallimard, 345 p., 39 €.

L’URSS semble aujourd’hui très loin derrière nous. Si des dizaines
de millions de gens de par le monde ont pu à un moment ou à un autre
considérer la révolution russe de 1917 comme source
d’espérance en un monde meilleur, la dégénérescence stalinienne a
ruiné ces perspectives pour longtemps. Cette histoire, en voie d’être
évacuée de nos mémoires, est parfois évoquée par les
« spécialistes » ou même les hommes politiques, mais le plus souvent
comme un épouvantail effrayant contre toute tentation communiste. Et
pourtant, quelle aventure que ce chambardement
extraordinaire qui a vu, en pleine première boucherie mondiale, une
population à bout renverser le tsarisme et chercher, avec le
bolchevisme, une autre forme d’organisation sociale. Ce
bouleversement prodigieux a bien sûr affecté la structure de la
société, et aussi en conséquence sa culture visuelle devenue soviétique.

Sous le signe de l’étoile rouge constitue un recueil de
dessins, de peintures, de photographies, de caricatures, d’affiches, de
tracts, de cartes postales, de « unes » de
journaux, de brochures militantes ou d’objets divers, qui témoignent
de cette vie nouvelle autant que de cet imaginaire soviétique fertilisé
d’abord par les avant-gardes artistiques puis
progressivement contaminé par une tendance fortement passéiste d’un
régime de plus en plus sclérosé et dictatorial. Chronologique, cet épais
recueil illustré d’une sélection de documents choisis
dans la collection privée de David King reflète quatre décennies de
l’histoire de l’URSS, de 1917 à la mort de Staline. Contrairement à bien
des ouvrages publiés jusqu’à il y a quelques années,
celui-ci donne une place non négligeable à Trotski et à ses
camarades, très vite opposés à la bureaucratisation à l’œuvre en Union
soviétique, et donc cibles de la propagande stalinienne à partir
des années 1930 (les fameux hitléro-trotskystes par exemple) avant
d’être totalement expurgés de l’histoire de la révolution.

L’auteur apporte un soin particulier à décrire le contexte des cinq
cent cinquante documents publiés, œuvres d’art, images de propagande,
instantanés de la vie quotidienne ou simples témoignages
de la production visuelle d’une époque. Entre émotion, fascination
et colère, le lecteur arpente ces quelques décennies faites d’infinis
contrastes : aux photographies émouvantes de
travailleurs formant le nouveau pouvoir succèdent de terribles
scènes de famine ; les affiches de propagande appelant à la révolte sur
un mode constructiviste alternent avec les stéréotypes
quasi religieux du travailleur et de la paysanne soviétisés ; les
expériences typographiques et graphiques évoquant l’électrification par
exemple précèdent un appauvrissement visuel
généralisé parallèle à la stalinisation des esprits. Les images,
publiées le plus souvent en pleine page, invitent à retrouver l’intimité
d’une époque faite de ruptures sociétales inédites dans
l’histoire, à s’imprégner d’un imaginaire nourri d’héroïsation et
d’avant-garde, de dureté totalitaire ou de généreux idéal. Des images
qui traduisent indéniablement le fantastique élan de la
révolution et son reflux catastrophique.

 

Guillaume Doizy, mai 2010